Pas sûr que James Blake ait choisi de se faire aimer de tous. Alors qu’il s’était fait remarquer en 2010 par une série de maxis dubstep tour à tour concassés ou languides, manifestes de sa capacité d’explorer de façon aventureuse sons et rythmes, voilà qu’il semble rentrer dans le rang d’une soul électronique suave. Mis en garde par sa reprise somptueuse du « Limit to Your Love » de Feist, le public découvrait toute l’ambivalence de l’artiste : beau gosse sage et triste n’aimant rien tant que jouer à filtrer et dévoiler son visage comme sa voix, jouant d’un narcissisme naturellement contrariant, il affichait une santé éclatante sur la reprise -instrumentalement décharnée et vocalement charnue- d’une artiste sympathique mais peut-être pas révolutionnaire. Sur ce premier album, la recherche vocale de Blake, alliée à des puissances pianistiques et rythmiques visant toujours le dénuement, semble le rapprocher cette fois d’Antony Hegarty. Voilà une meilleure référence mais qui ne suffira sans doute pas à rassurer tout le monde. Il reste que « James Blake », album de présentation de soi en artiste flou mais charmeur, apparaît comme une œuvre cohérente, secrète et attachante. Le dubstep minimal dont il s’est fait le spécialiste joue sur des effets de répétition et de silence qui rendent possible l’appréciation de toutes les nuances, aussi bien de sa voix (tour à tour vocoderisée ou livrée dans son plus simple appareil) que de ses rythmiques suspendues ou de ses ambiances hantées. De compositions plus classiques en expérimentations pointilleuses, le disque cherche et souvent trouve un équilibre intrigant entre distance maniérée et proximité inquiète, et à la fois doux et heurté, ne cède sur aucun terrain. Parfois à la limite de la froideur figée, cette musique est de celles qui rendent nécessaire l’écoute attentive, refusent le zapping et la distraction, ne se donnant qu’à l’écoute scrupuleuse et aimante. Manière de fidéliser les happy few qui voudront bien le suivre. Et tant pis pour la foule.
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