Sur scène (comme il y a quelques semaines à l’International, à Paris), les Three Black Eyes sont une joyeuse troupe britannico-franco-américaine où chacun donne de la voix et de sa personne. Sur ce deuxième album, en revanche, la musique est essentiellement l’œuvre du Londonien Matt Clark, toujours prompt à traduire ses humeurs cabossées en chansons – plutôt classiques derrière leurs allures débraillées –, à classer si l’on veut à côté de celles de Tom Waits, de Captain Beefheart, des Tindersticks, voire du Arno des bons jours. Plus concis, mieux cadré que le précédent, « The Hungry Chrönicles, vol. 1 : The Sweet Demise of the Boozehound », qui avait légèrement tendance à s’éparpiller au fil des collaborations, « Everyone is no-one » ressert douze rasades de tord-boyaux folk-rock-blues-cabaret : ça râpe un peu, on ne sait pas trop ce qu’il y a dedans, on n’est pas sûr que ça ait été distillé dans les règles, mais ça glisse bien et chaque gorgée a un goût de revenez-y.
Comme coincé entre le monde des vivants et celui des morts, Matt chante d’une voix empreinte de fatalisme des histoires de cœurs qui saignent, d’oubli et de regrets, Dieu regardant tout cela d’en haut, d’un air goguenard. Une guitare dépenaillée (mais aux riffs habiles), un orgue souffreteux, quelques chœurs spectraux et des percussions erratiques l’accompagnent à la veillée funèbre. Cela pourrait être parfaitement sinistre ou complaisamment déglingué si tout le monde se prenait au sérieux, mais c’est avant tout la légèreté de l’ensemble que l’on retient. « Everyone… » sonne comme une collection de démos, bien enregistrées mais dénuées de tout effet de production trop voyant. Le magnifique et très dépouillé morceau de clôture, « I Wish I Could Make the World Disappear », semble ainsi avoir été capté au petit matin, en une seule prise, avec quelques micros d’ambiance. Ça pourra difficilement passer à la radio, mais ça plaira à tous ceux qui aiment leur musique sans filtre, au plus près de l’os.