Esmerine voit la réunion de deux membres de groupes canadiens déjà fortement apparentés : Bruce Cawdron fait une escapade loin de Godpseed You! Black Emperor où il est percussionniste, et Rebecca Foon joue quant à elle dans Thee Silver Mt. Zion. Mais Esmerine n’est pas le groupe d’un one-shot : fondé il y a dix ans, le groupe signe avec « La Lechuza » son troisième album, après « Aurora », qui date de 2005.
Une fois de plus, la formation se voit enrichie par les participations extérieures. L’une d’entre elles marque, forcément, de par la charge émotionnelle qui s’en dégage : il s’agit de Lhasa, la chanteuse canadienne disparue au tout début de l’année 2010. Si le titre (« Fish on Land ») date de 2008 et des sessions de l’ultime album de la chanteuse, il s’insère magnifiquement dans le paysage – car c’est ce dont il est question sur les neuf titres du disque. Tour à tour désertique (« Walking Through Mist » qui porte bien son nom, avec le violon de Rebecca comme repère mouvant, « Last Waltz ») ou froidement habité (« Little Streams Make Big Rivers » « Au crépuscule, sans laisse »), l’album n’en dégage pas moins un parfum de plénitude, de poésie et d’amour des grands espaces. Les mélodies laissent le champ libre à l’imaginaire, et la poésie se glisse avec délicatesse dans les interstices (« Trampolin », « Snow Day For Lhasa » et ce bon vieux Pat Watson plus émouvant que jamais pour rendre hommage à son amie, « Sprouts » qui ressemble à une fleur qui s’épanouirait en sept minutes). Ceci est rendu possible par le talent des membres qui y participent (Sarah Neufeld d’Arcade Fire, Colin Stetson, Mishka Stein et Robbie Kuster du groupe de Patrick Watson), mais aussi parce qu’ils ont su s’effacer devant le projet, les mélodies et le caractère très calme et contemplatif du disque. Et comme un symbole, c’est donc la regrettée Lhasa qui le clôture, sans esbrouffe, mais avec une volupté envoûtante, pour un disque qui ne l’est pas moins.