Séparé de leur claviériste et ayant embauché le producteur John Agnello (Sonic Youth, The Hold Steady, Dinosaur Jr), le groupe originaire de Staten Island souhaitait proposer un second album à la fois plus proche de leurs prestations scéniques, moins remarquées pour la pérennité des morceaux que pour leur incontestable dynamisme, et écrit dans un esprit de groupe que le contexte d’enregistrement du premier LP ne permettait pas.
Ce modeste cahier des charges ne dit que platement l’ambition de ce disque que l’on juge tour à tour complexe ou compliqué, exigeant, kaléidoscopique, prêtant à confusion, dont le sujet principal, la difficulté d’établir un rapport logique entre la réalité physique de ce qui nous entoure et la représentation sensorielle qu’elle nous impose, reflète celle de l’auditeur à donner un sens unique, univoque à cette succession ultra-rapide de micro-mélodies, d’images, d’ambiances et sensations. Musicalement, le désir d’éviter le recours à des structures stéréotypées, nulle part plus prégnante que dans la chanson d’ouverture, huit minutes de cyclothymie où l’explosion d’énergie se dispute à une brusque chute de tension, donne le sentiment que le groupe abat trop de cartes en trop peu de temps, se débarrasse sans état d’âmes de directions à peine empruntées, comme un chef d’aiguillage s’amuserait à dévier la trajectoire d’un train chaque fois que le voyage s’annonce véritablement amorcé. Si bien qu’en toute logique, on ne sait trop où le convoi nous emmène, et qu’en définitive les morceaux les plus mémorables se révèlent être les plus concis (« Definite Darkness », « Another Tungunska »). Au sens propre, tout laisse entendre que la volonté du groupe est d’effacer la mémoire de l’auditeur à mesure que les chansons progressent, de ne lui permettre aucun signal de repère sinon la voix mi-ironique mi-plaintive d’un chanteur dont la fonction semble être de le plonger dans le même état d’hébétement et de confusion que lui. Cet effet ne fonctionne évidemment que si l’on prend la peine de s’intéresser à son trip narcotico-métaphysique… Ne reste-t-il, si la légitimité philosophique d’un chanteur de rock de 25 ans ne nous paraît guère solide, qu’un agrégat monstrueux d’alliages impurs, sans guère plus de queue que de tête, fait moins de chansons que de séquences ? Non. Car malgré la pléthore de propositions à encaisser comme on peut, « Lenses Alien » possède une personnalité affirmée, omettant de synthétiser les molécules à succès des produits-phares du circuit (Arcade Fire, Grizzly Bear, MGMT, etc.) pour emprunter le terrain de jeu de Pavement ou Sonic Youth, aujourd’hui envahi par les feuilles mortes, sans pour autant avoir l’aspect générique de « Why There Are Mountains ».