Le projet est pour le moins intrigant : David Lynch, l’un des réalisateurs les plus importants du post-Nouvel Hollywood s’essaye à un nouvel opus musical, après les précédentes expériences passées quelque peu inaperçues. Musicalement, on est très proche de son précédent album live « Blue Bob », accompagné de John Neff à la voix, et dont certains morceaux avaient été utilisés dans le film « Mulholland Drive » : un blues très sombre et chaotique, une voix altérée, une rythmique répétitive. Si on reste dans le registre du factory rock, « Crazy Clown Time » puise davantage dans l’inspiration électronique du « Dark Night of the Soul » de Sparklehorse auquel il a participé. On retrouve ainsi sur l’album, en plus du premier morceau diffusé sur le net il y a quelques temps déjà (« Good Day Today »), treize autres titres aux ambiances uniques et particulièrement travaillées. Le son est dense (la guitare de « Football Game », la rythmique à vapeur de « She Rise Up » ), inquiétant, et si le résultat n’évoque pas un film particulier de Lynch à travers l’écoute, on retrouve tout de même la signature si caractéristique de son univers, la découverte d’un monde dans lequel on ne dispose pas de toutes les clefs, pas même l’auteur. Si les morceaux semblent parfois être une relecture lointaine de ses oeuvres principales (« Good Day to Day » qui évoque la Julee Cruise de Twin Peaks passée à la moulinette electro-dance) et si la même démarche appliquée à ses films est ici bien retranscrite, elle en comporte les mêmes faiblesses : charmé par un travail technique hors-pair, on en vient tout de même à s’ennuyer passé l’excitation de la découverte. Il n’y a bien que quand Lynch concentre sa musique en lui donnant une structure plus classique qu’il nous fait totalement adhérer à sa cause (« Pinky’s Dream », la chanson la plus « PJ Harveyste » de l’album, avec la sublime voix de Karen O’ des Yeah Yeah Yeahs).
Ce n’est donc pas sur l’originalité que Lynch pèche. Là où on craignait une simplicité, on est surtout déçu par la répétitivité dans la construction des morceaux : une rythmique et un riff puissant, particulièrement bien construit mais qui se répète durant 3 à 5 minutes. La voix électrisée de Lynch, loin d’être désagréable, ne parvient pas à faire décoller l’album définitivement trop statique. Dans cette volonté de rejoindre les sillons de la pop, des morceaux moins étriqués auraient probablement rendu le tout plus attrayant. « Crazy Clown Time » annonce une énergie qui immédiatement s’affaisse pour ne plus jamais évoluer.
Si David Lynch a su aussi bien briller au cinéma qu’à la télé (« Twin Peaks », « Blue Velvet ») dans un registre aussi bien classique qu’expérimental (« Elephant Man » et sa trilogie « Lost Highway »/ »Mulholland Drive »/ »Inland Empire »), ses essais musicaux restent avant tout des expériences sonores, dont la matière est riche en inspiration. « Crazy Clown Time » laisse un goût d’inachevé, comme si l’auteur nous invitait à remplir le vide de ses morceaux et lui donner le sens qui nous semble approprié. Comme une bande originale d’un film pas encore réalisé ?