Comme son titre ne l’indique pas pas, « Mr. M » est un album dédié au regretté Mr. C (Mr. Chesnutt, Vic de son prénom), ami et mentor de Kurt Wagner depuis les débuts de son groupe – ou, plus précisément, de son collectif à géométrie variable – Lambchop. Savoir cela avant de mettre le disque sur la platine, c’est s’attendre à une oeuvre sombre, triste, comme le fut la disparition du songwriter américain pour tous ses admirateurs, il y a deux ans. Au contraire, Kurt Wagner, avec son humilité, sa pudeur et sa classe habituelle détourne habilement les poncifs d’un disque-hommage forcément tire-larmes. L’album est dédié à la mémoire de Chesnutt, soit, mais pas de référence directe à l’ami défunt dans les chansons de « Mr. M » si ce n’est, par abstraction, à travers l’évocation des thèmes chers à Wagner depuis toujours – les choses triviales de la vie, l’amitié et, d’une manière plus directe qu’à l’accoutumée ici, l’amour. N’y a-t-il plus belle façon de pleurer la disparition d’un ami qu’en évoquant les bonheurs simples et profonds de la vie ?
Malgré la pointe de mélancolie présente depuis toujours dans la musique de son groupe, Kurt Wagner n’a jamais versé dans le pathos. Loin de là. On sent au contraire dans l’univers du songwriter un hédonisme certain, tout particulièrement sur le plan musical. « Mr. M » ne fait pas exception à la règle : toujours ce melting pot essentiel de country, de soul, de crooning et de pop, le tout dans un habillage easy listening, dans le meilleur sens du terme. A ces ingrédients habituels, il convient d’ajouter, pour « Mr. M », la dimension « psycho-Sinatra » voulue par le producteur perfectionniste du groupe, Mark Nevers.
C’est ce superbe travail de production qui fait de « Gone Tomorrow », chanson a priori typique de Lambchop – voix grave et éraillée de Kurt, rythmique country « middle of the road », cordes élégantes – un moment d’anthologie grâce à sa longue improvisation conclusive, planant quelque part entre improvisation jazz et délires psychédéliques. C’est encore la mise en son impeccable de Nevers qui sublime, par sa justesse et son évidence mélodique imparable, les aussi modestes que géniales pièces musicales, que sont « Gar » et « Betty’s Overture » que n’aurait pas reniées un certain Henry Mancini. Dans des genres il est vrai différents, le compositeur de « Mr. Lucky » et celui de « Mr. M » partagent en effet ce don pour insuffler à leurs oeuvres un savant équilibre de légèreté et de mélancolie qui est le secret des grands. De ceux qui, mine de rien, nous accompagnent toute une vie.