Je suis toujours un peu dubitatif devant les enregistrements de musique improvisée. Il se passe pendant les concerts quelque chose dont l’enregistrement ne peut rendre compte : une circonstance, une tension. Le guitariste Keith Rowe retrouvait donc, ce soir-là, son ancien comparse d’AMM, le pianiste John Tilbury, et j’aurais bien aimé être là pour voir ces retrouvailles. Keith Rowe fait du Keith Rowe, à savoir produit des sons en disséquant sa guitare et ses autres jouets pendant que John Tilbury fait du Tilbury, à savoir du Morton Feldman, du Cardew, du Cage, avec élégance… Je ne suis ni fan ni spécialiste de Keith Rowe mais pour avoir certains de ces enregistrements et l’avoir vu sur scène, il est ici à son meilleur, semblant engagé dans une production commune avec Tilbury. Son attirail de sons est, bien entendu, revisité mais assez proche d’un dialogue avec un Tilbury farceur, au piano préparé comme il se doit, et recourant à divers jouets dont une boîte produisant des sons d’oiseaux, ai-je lu, vers la vingtième minute. Il est parfois difficile de savoir qui fait quoi (on distingue une sorte de ventilateur sur les cordes d’un instrument : piano ou guitare ?) mais la variété des sons et des intensités (telles le passage d’infrabasses terribles vers la 28ième et la 34ième minute) procure une belle balade dans l’univers singulier créé par les deux musiciens, soit un univers où les sons seraient, comme le souhaitait Morton Feldman, enfin libres. La fin du disque est un morceau de silence cagien assez long, peu intéressant sur disque, mais qui devait être un véritable moment de plaisir tendu pour les musiciens et le public. On espère que d’autres moments de rencontre Rowe/Tilbury vont se reproduire et, qui sait ?, conduire à une reformation d’AMM en version trio, dont le récent « Uncovered Correspondance : a Postcard from Jaslo » était une réussite.
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