On ne croyait pas si bien dire, en affirmant que les mixtapes gratuites distribuées à foison par les rappeurs étaient parfois bien supérieures à leurs disques commerciaux. Rick Ross l’a confirmé, en tout début d’année 2012, avec un Rich Forever qui devait nous mettre en appétit avant la sortie d’un nouvel album, God Forgives, I Don’t (chouette titre, au passage), mais qui s’est avéré nettement supérieur à lui, au bout du compte. Certains ont même estimé qu’il était l’apex de la carrière du Floridien, son œuvre la plus aboutie.
Rich Forever, en vérité, n’a pas grand-chose d’une mixtape. Cette sortie était propre, bien produite, bien mixée, d’une qualité professionnelle. Ensuite, question invités, c’était le grand luxe, avec des stars établies comme Nas, Diddy, Pharrell, Drake ou plus récentes comme 2 Chainz, French Montana et Future, sans oublier les chanteurs John Legend et Kelly Rowland, ni Meek Mill, Wale et Stalley, les compères du Maybach Music Group. Enfin, à l’inverse de toutes ces sorties gratuites qui s’empilent à un rythme infernal sur Internet, contrairement même à l’immense majorité des albums de rap depuis toujours, celui-ci se montrait remarquablement homogène, sans grand déchet malgré sa longue durée.
Oh, ça reste du pur Rick Ross. De sa voix grasse et chaude, et comme l’indique le titre de la mixtape, le rappeur creuse sa veine habituelle, celle du m’as-tu-vu s’imaginant en baron de la drogue, étalant un style de vie nouveau riche fantasmé, manifestant une passion exclusive pour un argent bien mal acquis, et ravalant les femmes au rang de chair à saucisse (« I pay for that pussy, I go shopping for hoes » : classe). C’est la vieille posture habituelle, éclatante, matérialiste, immorale et insolente, mais dans son expression la plus aboutie, avec un Rick Ross qui n’a jamais dégagé autant d’allant, d’inspiration et d’assurance, et servi comme jamais par des beats de tueurs que lui ont pondus une palanquée de producteurs, Lex Luger, J.U.S.T.I.C.E. League et tant d’autres.
Tous les titres ou presque sont irréprochables, et certains franchement remarquables, comme ces rouleaux-compresseurs que sont « MMG Untouchable » avec son synthé virevoltant, le conquérant « Yella Diamonds », l’atmosphérique « Triple Beam Dreams » où l’on croise un Nas en forme, l’instru façon film de fantôme de « Last Breath », l’enlevé « I Swear To God », le presque dissonant « King Of Diamonds ». Rien ici n’est en trop, pas même les roucoulements R&B téléphonés de John Legend ou les nappes de synthétiseur emphatiques de « Rich Forever », même pas les faux violons grossiers et le refrain en auto-tune de celui qui s’est fait maître du genre, Future, sur « Ring Ring ». C’est du lourd, c’est du grandiloquent, mais ça sied parfaitement au personnage incarné par Rick Ross : rude, intouchable, étincelant et démesuré. Fermement installé sur le toit du monde.