Durant quelques décennies, Lenoir a été l’un des passeurs essentiels de la musique indépendante en France ; retour sur quelques titres plus ou moins emblématiques qui ont marqué les amateurs de « musique pas comme les autres » et quelques générations de chroniqueurs de POPnews.
James – Sit Down
Un morceau que Lenoir a dû beaucoup passer à l’époque, avec son cousin (au son un peu plus « baggy ») « Come Home ». Le genre d’hymne qui semble taillé pour les gros festivals anglais, mais qui reste du bon côté de la barrière. Près d’un quart de siècle plus tard, la voix passionnée de Tim Booth me donne toujours des frissons. (V.A.)
Compulsion – Mall Monarchy
Des Irlandais de l’époque grunge (avec le look afférent), injustement oubliés. Avec un mélange de hargne et d’intelligence, ils dégoupillèrent une poignée d’excellents singles largement du niveau de Nirvana, et savaient retourner une salle en quelques minutes. (V.A.)
Stina Nordenstam – He watches Her from Behind
Cette jeune chanteuse suédoise, qui sort son premier album en 1991, peut être considérée comme celle qui ouvrit la voix aux artistes solo féminines dans le rock indé. Arrivée dans l’industrie quelques années avant Björk, Tori Amos ou Emiliana Torrini, son style repose avant tout sur une voix de cristal, à peine masquée par des arrangements presque trop classiques. Elle connut le succès grâce au film Romeo + Juliette, dans la B.O. duquel sa chanson « Little Star » fut intégrée. (J.D.)
The Mabuses – Kicking A Pigeon
Le premier album des Mabuses reste un trésor caché des années 90, dont la pop tordue mais suprêmement mélodique est inépuisable. Le génial et maladivement perfectionniste Kim Fahy, seul membre permanent, continue à faire de la musique… à son rythme. Invité à l’époque par Lydie Barbarian lors d’un duplex avec la BBC, pour une interview et une programmation, il ne choisit que d’excellentes choses : Beatles, Captain Beefheart, The Fall… Je dois toujours avoir la cassette. (V.A.)
Dominique A – Le Courage Des Oiseaux
Il fallait du courage pour multi-diffuser « Le Courage des Oiseaux » à sa sortie. Voix à genre mal dessiné, clavier protozoaire sur minimalisme contraint, ce Courage brillait pourtant d’un texte admirable, pas si loin du final de l’Innommable beckettien : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer » (un peu le leitmotiv des dernières années à France Inter). Dans mon souvenir, Lenoir se partageait entre « Février » et cette plage de « La Fossette » devenue le plus grand classique de Dominique A. Toute la jeune chanson indé française peut dire merci au jeune M. Ané et à son supporter patient, Bernard Lenoir, parce qu’elle vient de là (et nous leur pardonnerons même, tant c’était bien les prémisses). (CDes)
The Sundays – Can’t Be Sure
Portées par la voix sublime d’Harriet Wheeler, les chansons des Sundays nous offraient un mélange de pop et de rock sophistiqué, inspiré de Prefab Sprout et des Cocteau Twins. « Can’t Be sure » est extrait de leur premier album « Reading, Writing, and Arithmetic » (1990), auquel succédera « Blind » en 1992, également excellent. Le groupe fera des émules et on croit en entendre quelques accents chez quelques artistes actuels comme – au hasard – Sharon Van Etten. (CDu)
The Field Mice – Sensitive
Au début des années 90, le mythique label Sarah Records remettait le minimalisme au goût du jour ; The Field Mice, l’un de ses fers de lance, porté par la voix blanche et touchante de Bobby Wratten réinventera la pop britannique avec ses collègues de label (Heavenly, The Orchids, Another Sunny Day…). C’est cependant avec ce titre enfiévré, « Sensitive », que The Field Mice se fera connaître avant d’explorer des pistes plus bucoliques mais tout aussi passionnantes. (CDu)
The Cure – Just Like Heaven
Si la télé n’aura finalement pas tué non plus les stars de la radio, il n’en reste pas moins que « Just Like Heaven », en version instrumentale, se rattache plutôt à mes yeux au générique des « Enfants du Rock ». Et qu’on ne se souvient pas tant que ça de l’avoir écouté chez Lenoir. Peut-être aussi qu’on s’en était lassés, contrairement au génial « Confusion » de New Order qui ouvrait « Rockline », trop tôt disparu et qu’on n’aurait manqué pour rien au monde. Ceci dit, la période Inrockuptible de Lenoir coïncide avec la partie la moins aventureuse de la carrière de Robert Smith. Donc retournons dans le temps jusqu’à « Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me », et passons comme un zéphyr… (CDes)
Young Marble Giants – Searching For Mr Right
Trop jeune pour découvrir les Young Marble Giants à l’époque de Feedback, on se rattrapera durant la période Inrockuptible de Bernard Lenoir. Clair classique, « Searching For Mr Right » est le morceau qu’il passe le plus de « Colossal Youth », et chaque passage ressemble à un retour sur soi. D’une nudité inédite, sans affect autre que souterrain, c’est un « Not Fade Into You » éteint par force, et pourtant brûlant de l’intérieur, si l’on observe bien. « Who can you be, Mr Right ? », s’étonne la merveilleuse Alison Statton à la toute fin. On se demande toujours… (CDes)
Joy Division – Transmission
« Dance, dance, dance, dance, dance to the radio… » ou le sous-titre parfait pour la compilation de cet homme des ondes qu’est Bernard Lenoir. « Transmission » est un des titres majeurs de Joy Division, bien qu’il ne soit présent sur aucun des deux albums du groupe. Cependant, dès leur début, ce morceau devient un classique en apparaissant notamment sur l’enregistrement d’une Peel Session. Il est clair qu’il suffit d’entendre une fois cette ligne de basse de Peter Hook pour rester hypnotisé à vie par le son de Joy Divison. Un grand classique post-punk. (J.D.)
Swell – What I Always Wanted
J’aurais plutôt choisi un morceau extrait de l’album précédent de ce groupe de San Francisco, le chef-d’oeuvre « 41 », mais celui-ci est parfaitement représentatif de leur musique sombre, brumeuse, lancinante, souvent plus sardonique que mélancolique. Un son et un style uniques, même si, sur le fond, Swell partageait sans doute quelques préoccupations esthétiques avec d’autres groupes de la Bay Area dans les années 90 : les vétérans American Music Club, les Red House Painters de Mark Kozelek, Idaho… Difficile aujourd’hui de suivre le peu communicatif David Freel derrière sa myriade d’alias, mais ça en vaut souvent la peine. (V.A.)
Happy Mondays – Bob’s Yer Uncle
A la sortie des années Thatcher, l’Angleterre avait une bonne envie de se dégourdir les jambes et Manchester ouvrait le bal : après New Order et l’arrivée de la House Music, les Happy Mondays amenaient un sacré groove dans le rock et ce qui allait avec (ecstasy et excès en tous genres). « Madchester » faisait tourner les têtes pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur pour les Mondays, c’était « Pills’n’Thrills and Bellyache » (1990) dont est extrait ce fameux « Bob’s Yer Uncle ». Le pire, c’est ce concert que Lenoir avait diffusé et où le groupe était trop défoncé pour aligner trois notes… (CDu)
The La’s – There She Goes
En 1990, un an après la sortie de l’album des Stones Roses, celle de l’unique album de The La’s sonnait comme une réponse de Liverpool la pionnière à Manchester la festive : qui allait gagner la bataille du « perfect pop album » ? Force est de croire qu’avec sa flopée de titres aux mélodies impeccables et aux guitares carillonnantes, The La’s marquait des points. Lee Mavers, son leader, avait dû y jeter toutes ses forces car il n’y eut jamais de suite… mais il nous reste cet album magnifique. (CDu)
Ride – Leave Them All Behind
Le problème avec Ride, c’est que plus le temps passait, moins leurs albums étaient bons… C’est dommage car « Nowhere », leur premier disque (après « Smile », compilation des deux premiers EP du groupe) était vraiment fabuleux, de même qu’une bonne partie de « Going Blank Again », leur second album qui débute par ce « Leave Them All Behind » épique (même si la partie synthé est un peu pompée sur le « Won’t Get Fooled Again » des Who). (CDu)
Radiohead – High And Dry
Avant de révolutionner tranquillement mais sûrement la pop à guitare (« Ok Computer », 1997 / « Kid A », 2000), Lenoir nous rappelle que Radiohead était ce groupe brit pop au romantisme sombre, sous forte influence Smiths, avec en plus ce son grungy typique de la première moitié des 90’s. Pas original pour deux sous mais extrêmement inspiré. Un groupe défendu par l’inrockuptible dès son inégal mais fougueux premier album (oui, celui avec « Creep ») par ailleurs unanimement descendu par la critique de l’époque (Les Inrocks inclus !). Avec « High and Dry », Lenoir nous remémore donc une grande chanson pop de Radiohead et nous rappelle aussi qu’il avait (a ?) du flair, le filou. (M.C.)
Suede – The Drowners
Après des années de shoegazing, de musiciens sans charisme en T-shirts informes et de voix noyées sous les guitares, Suede incarnait avec ce premier single flamboyant, à la coda inoubliable, le retour à un rock anglais glam, androgyne, arrogant et décadent. Contre toute attente, le groupe survécut au départ de son très doué guitariste Bernard Butler (comme un mix de Mick Ronson et Johnny Marr) après le deuxième album (l’ambitieux et très réussi « Dog Man Star »), et enchaîna des disques plutôt honnêtes, contenant toujours deux ou trois tueries. Brett Anderson a fini par s’apercevoir qu’il n’avait plus trop l’âge d’incarner un fantasme pour adolescentes et s’est consacré à des albums solo « adultes » et plutôt beaux, même s’il reforme Suede dès que l’occasion (ou le chéquier ?) se présente. Un nouvel album paraît cette année. (V.A.)
The Auteurs – Lenny Valentino
Apparus en même temps que Suede, dont ils assurèrent au début les premières parties (on se souvient aussi d’une double couve des « Inrocks » Brett Anderson/Luke Haines). Leur premier album « New Wave » (1993) était un classique instantané et s’écoute donc encore avec énormément de plaisir vingt ans après. Cette bombe de deux minutes et des poussières sortit en single quelques mois plus tard, annonçant le deuxième album, et Lenoir la matraqua pour notre plus grand plaisir, et sans doute celui de la maison de disques. Le récit par le bien nommé Haines de ses années Brit-pop est une lecture (en anglais) d’une méchanceté réjouissante. (V.A.)
The Ukrainians – Batyar (Bigmouth Strikes Again)
Un groupe formé par l’ancien guitariste du Wedding Present, d’origine ukrainienne, qui eut notamment l’étrange idée d’enregistrer des adaptations dans cette langue de chansons des Smiths. On peut évidemment préférer l’original de « Bigmouth Strikes Again », mais comme tout auditeur de Lenoir normalement constitué l’a déjà… (V.A.)
The Bats – Dancing As The Boat Goes Down
Qu’est-ce qu’on a pu les aimer, tous ces groupes néo-zélandais du label Flying Nun… Pour leur absence de frime, leur sens mélodique, la fougue qu’ils mettaient dans leurs chansons; Les Bats, trois hommes et une femme ressemblant à tout sauf à des rock stars, n’étaient sans doute pas les moins doués du lot. Quand je les ai enfin vus sur scène, il y a quelques années dans un petit bar parisien, je les ai traqués après leur concert pour qu’ils me signent tous les quatre le livret de « Fear of God »,un album que je connais par coeur et dont ce morceau est extrait. (V.A.)
The House Of Love – Destroy The Heart
Un de mes frères m’avait offert le CD single pour Noël, des années après sa sortie. House of Love, de toute façon, ça reste une histoire de bad timing, d’occasion manquées, trop tôt, trop tard. Je les ai interviewés, mais Guy Chadwick s’était planqué dans un coin. Je n’ai jamais réussi à les voir sur scène, mais j’ai toujours des enregistrements de concerts diffusés par Lenoir… Ils sortent un nouvel album cette année, on est content pour eux, on y jettera une oreille par curiosité. On n’est pas certain de leur pertinence en 2013, mais entre 1986 et 1990 ils n’avaient pas beaucoup de rivaux dans le domaine du rock à guitares racé et mélodieux. (V.A.)