Certains héros vieillissent mieux que d’autres. Pour ces quelques chansons tutoyant les étoiles, le temps ne saurait être assassin avec Paddy McAloon. Qu’il ait failli perdre la vue et l’ouïe en fait pourtant aujourd’hui un curieux survivant. Rarement le contraste s’est en effet montré aussi saisissant entre la voix, inchangée depuis un quart de siècle, et ce corps dont seule la silhouette rappelle le jeune homme qu’il a été. Cheveux blancs, barbe longue, lunettes noires, canne de dandy fatigué, le songwriter désormais âgé de 56 ans apparaît masqué par quelques attributs choisis. Bien loin du visage juvénile que l’on a connu. Il n’est plus là, avec ses auditeurs, mais voisine avec quelques uns de ses héros, fantômes eux aussi : Cole Porter et Brian Wilson. Des compagnons éternels, des modèles indépassables auprès desquels il est difficile de lutter. Comment rester vivant, et accessoirement écrire de nouveaux disques lorsque l’on a pu écrire des chansons aussi belles et évidentes que « Goodbye Lucille » ou « Out of Broken » ? Une équation impossible à tenir.
Libéré sans doute des attaches terrestres les plus élémentaires, il nous revient donc après une longue éclipse avec ce neuvième album de Prefab Sprout (son dernier véritable album date tout de même de 2001), ce groupe qui n’en a jamais été un, mais plutôt une machine entièrement dédié à ses immenses ambitions. Un retour inespéré et plutôt désarmant pour ceux qui l’ont écouté il y a plus de deux décennies.
Comme dans quelques uns des plus beaux chapitres de la Pop les mélodies de Prefab Sprout sont toujours apparues comme des bulles légères traversant un paysage qui ne les reconnaît pas, leurs parois se couvrant d’improbables reflets, pailletés, lumineux, on ne peut plus fragiles. Ce nouvel album n’échappe à la règle. C’est dire combien cette musique apparaîtra anachronique pour ses contemporains, elle l’était déjà en 1990, lors de la publication de « Jordan The Comeback », le chef d’oeuvre du groupe.
« Crimson / Red » se présente à nous comme un objet singulier, indatable, un résumé assez juste de ce qu’a produit le songwriter dans la deuxième moitié des années 80, la démesure en moins. Il faut se laisser faire, pour être emporté par l’infinie délicatesse de ces arrangements mille-feuilles, ici quelques nappes synthétiques, là un orgue ou un harmonica ponctuant une ligne vocale. Le charme s’opère dès lors, à l’écoute de ces titres moins faciles qu’il n’y paraît. Les détails font ici toute la différence avec une certaine culture mainstream, comme sur le délicat « List of Impossible Things » ou l’enlevé « Devil Came a Calling » et ses entrelacs de guitares. Plus désarmé que jamais, Paddy McAloon nous offre bien une cure de jouvence. Y résister serait simplement criminel.