« Songs for Drella » est un album totalement à part dans la discographie de Lou Reed et ce à plusieurs titres. Il correspond à un net regain de forme dans sa carrière après une décennie 80 difficile, suivant « New York » et sa formule rock, disque du renouveau publié un an auparavant. Il en est de même pour John Cale dont la carrière solo aura été tout aussi chaotique, le Gallois publiant tout de même peu après l’un de ses chefs d’oeuvre, « Fragments of a Rainy Season », capté live lors d’un passage à Bruxelles en 1992, reprises essentiellement au piano de quelques uns de ses plus beaux titres.
Trois ans après la mort d’Andy Warhol, leur ami et mentor, les deux frères ennemis du Velvet enterraient donc leurs différends pour un disque émouvant, mélancolique, un diamant noir à l’image de sa pochette. Tour à tour tendu (« Images ») ou recueilli (« Nobody but You »), jamais funèbre, « Songs for Drella » célèbre Warhol, être complexe, insaisissable, dans sa lucidité comme ses excès. Reed et Cale construisent un album à plusieurs voix, s’adressant à Drella (surnom donné à Warhol) pour livrer leur point de vue ou prenant la place du roi du Pop Art dans le récit de sa vie. Les textes sont souvent saisissants. Si certains titres apparaissent comme typiquement reediens (sens de la formule, guitares tranchantes), d’autres font la part belle à Cale et à son élégance spectrale qui flottait déjà du temps du Velvet (« Style It Takes », « Forever Changed »). Dans tous les cas, ce qui frappe, c’est le dépouillement, la sincérité dont font preuve les deux hommes, mettant de côté leurs egos pour construire un dialogue intense et aller à l’essentiel. Et plus encore, la puissance de leur interprétation, celle de chanteurs d’exception, pour qui l’avait oublié. « Hello, It’s Me » dans lequel Lou s’adresse à Andy est, dans sa simplicité et son évidence, un adieu aux larmes d’une rare émotion. Plus de vingt années après que nous l’ayons écouté, le disque nous touche alors comme au premier jour.