On a fait connaissance avec Lucius en novembre dernier, quand les New-Yorkais sont venus donner quelques brefs concerts au Festival des Inrocks. La séduction fut d’abord visuelle : au centre, deux chanteuses-claviéristes aux gabarits différents mais à la robe et à la coiffure identiques, entourées de trois garçons portant eux aussi la même tenue. La musique vint confirmer cette bonne impression : des pop songs bien écrites, variées et efficaces, chantées à la perfection (Jess Wolfe et Holly Laessig ont participé à l’album de San Fermin, une référence) et interprétées avec ce mélange de professionnalisme et de sincérité propre aux Américains. Pas loin du coup de foudre.
On ne risquait donc guère la déception en écoutant le deuxième album de Lucius, “Wildewoman”, qui rassemble tous les morceaux découverts en live, plus une poignée d’autres. Il est à l’image de sa pochette (méritant le format 33-tours), qui montre une jeune femme se régalant d’un cornet de crème glacée : un peu rétro mais jamais trop, coloré, savoureux, à la fois sucré et rafraîchissant… et peut-être moins innocent qu’il n’y paraît (il ne vous fait penser à rien, ce cornet ?). Placée en ouverture, la chanson-titre révèle d’emblée tous les atouts du groupe : les deux voix à l’unisson de Jess et Holly, autant capables de nuance que de puissance, une mélodie fondante, une belle maîtrise des dynamiques sonores, un travail original sur les rythmiques.
On pense à un update du Wall of sound spectorien, revu et corrigé à la sauce Brooklyn. Pas puriste pour un sou, Lucius semble en fait autant inspiré par les grands groupes du passé, des Supremes à Fleetwood Mac, que par l’actuelle scène indé américaine (le bien nommé “Nothing Ordinary”, le morceau le plus lâché du disque, rappelle les Dirty Projectors avec son chant très expressif et ses percus tribales) et les innovations du meilleur r’n’b.
Le groupe impressionne par sa faculté à aligner les titres imparables (aux deux précités, ajoutons le très syncopé “Turn It Around”, “Tempest” et ses synthés 80’s ou le renversant “Don’t Just Sit There”) sans pour autant chercher systématiquement le tube rouleau-compresseur, enthousiasmant la première fois mais écœurant au bout de cinq écoutes. Après un début assez tonitruant, l’album calme d’ailleurs la cadence, mettant en valeur les voix décidément exceptionnelles de ses fausses jumelles. Bonne idée, car c’est sur la chanson la plus dépouillée, “Go Home”, qu’elles brillent le plus, nous fendant carrément le cœur sur le refrain : « I don’t need you anyway/I don’t need you/Go home ». Le genre de chose qu’on n’est pas près de s’entendre leur dire.