Un chanteur qui, dans le livret de son album, termine la page des crédits et des remerciements par une « spéciale dédicace à Paddy McAloon le magicien » mérite au minimum toute notre estime. Surtout quand l’album en question contient un morceau carrément intitulé “Paddy”, ainsi qu’un autre hommage à un songwriter d’exception, dont on n’attend malheureusement plus grand-chose : Lee Mavers, à travers une brève et belle reprise acoustique du “There She Goes” des La’s. Hugo Chastanet, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a beau chanter en français, ses références sont plutôt à chercher du côté de la plus fine pop anglaise. Et si “L’Homme du soir” ne prétend pas rivaliser avec tous les chefs-d’œuvre venus d’outre-Manche dans les années 80-90, il semble en avoir retenu le meilleur, en premier lieu l’importance capitale des mélodies.
Hugo (il signe sa musique de son seul prénom) n’est pas un complet inconnu, et pas vraiment un perdreau de l’année (il est né en 1965). Certains se souviennent peut-être de son petit succès de 1996 en France et en Belgique, “La Nacelle”. Un joli morceau de variété-pop anglophile (déjà), rappelant les meilleurs moments de l’Affaire Louis Trio, la rythmique Tamla-Motown en plus. Outre un talent pour les airs qui se retiennent dès la première écoute et d’évidentes qualités d’arrangeur, Chastanet y affirmait un certain goût pour l’étrange, notamment à travers un clip rappelant le film “Freaks” et l’univers de David Lynch. Toutes choses que l’on retrouve intactes sur “L’Homme du soir”, son troisième album seulement (un tous les neuf ans !).
Si les deux précédents étaient sortis sur le label Crammed, celui-ci a été conçu en autoproduction : des conditions sans doute moins confortables, mais qui ne sont pas ici synonymes de pauvreté de moyens. Enregistrés avec Vincent de Bast, intégralement joués par Hugo lui-même (à part la batterie sur quelques titres), les onze morceaux, emballés dans un digipak aux photos et graphisme soignés, sonnent magnifiquement. Une pop “jangle” ou ligne claire, à la fois assurée et un peu fragile, telle qu’on l’avait croisée il y a une vingtaine d’années chez Les Objets, Chelsea ou Autour de Lucie, et plus récemment chez Mehdi Zannad (“J’entends”) ou Aline (“Ce qui te plaît”). D’une voix haut perchée et charmeuse, qui ne répugne pas à chantonner des « tou tou dou », des « la la la » et des « ouh ouh » (un petit côté soul), Hugo Chastanet raconte des histoires mystérieuses pleines de gouffres, de croquemitaines et de chiens morts. Comme des cauchemars d’enfant récurrents qu’adoucirait la légèreté de la musique. Autant dire qu’on aimerait bien ne pas avoir à attendre encore neuf ans pour la suite.