Depuis le début de cette année, Laurent Bajon et Benjamin Caschera (Planet Claire & Almost Musique) ont lancé une série de compilations en téléchargement libre (ou presque : elles passent à 1€ lorsque les quotas de téléchargement gratuit de Bandcamp sont atteints). Trois volumes de ces compilations sont déjà parus depuis le mois de janvier. Leur leitmotiv tient en deux mots : francophone et underground. Deux mots que ces défricheurs ont traduit en La Souterraine.
Laurent Bajon et Benjamin Caschera ont eu la gentillesse de répondre à quelques questions de POPnews à propos de ce projet (interview à lire par là). Nous vous proposons ici une sélection subjective et partiale, commentée par nos rédacteurs, de quelques-uns des titres de ces compilations.
Julien Gasc – Ma bouche sans toi n’existerait pas (David Dufeu)
On vous parlait récemment de l’audace de Julien Gasc (guitariste de Aquaserge, et de Hyperclean, présents respectivement sur les deux autres volumes de La Souterraine) : elle est éclatante sur ce morceau qui rappellera un peu le Burgalat d’avec AS Dragon, dans la voix lancinante, les paroles qui oscillent entre romantisme échevelé et surréalisme révolté, ou encore l’arrière-fond rock à guitares synthés seventies qui point derrière les mélodies. Un poil moins flamboyant, peut-être, mais un peu plus personnel aussi. A suivre de près.
Arlt – Grande Fille (ChloroPhil)
Arlt, évidemment ! LE groupe français du label Almost Musique, chouchou de Planet Claire et de POPnews, ce titre présent sur le sublime album de Arlt & Thomas Bonvalet est ici dans une version complètement dépouillée qui sied à ravir à ces compilations La Souterraine. Frissons assurés avec les voix d’Eloise Descaze et de Sing Sing, et la mélodie de Mocke à la guitare.
Mocke – L’Ouvrier flan (David Dufeu)
A force on n’a plus besoin de le présenter, Mocke, d’autant qu’il apparaît juste avant sur la compil sur le titre d’Arlt. Ici, le morceau, instrumental, est une petite vignette un peu entêtante où la guitare navigue au gré d’humeurs alternatives, dans le plus pur style inventé par ce guitariste au langage unique, à la fois bavard et éthéré, dont la légèreté apparente semble sans cesse pervertie par un fond de noirceur.
La Féline – Adieu l’enfance (Maéva Pensivy)
3/4 ans après la sortie de son premier album sur le label des Balades Sonores, Agnès Gayraud revient avec un magnifique titre teinté de pop noire. Rares sont les morceaux qui réussissent à remuer l’auditeur tout en étant très efficaces musicalement : « Adieu l’enfance » y parvient, regard sans complaisance sur une enfance qu’on a souvent tendance à idéaliser, porté par une mélodie nerveuse à la rythmique froide. Un bijou de cold wave introspective et entraînante qui, on l’espère, connaîtra le succès de « La Forêt » de Lescop. (Le EP « Adieu l’enfance » sort le 26 mai).
Alaclair Ensemble – Jean-Claude Van Damme (GDB) (Maéva Pensivy)
La première écoute de ce titre de rap québecois déroute tant on a peu l’habitude d’entendre des productions aussi lourdes et puissantes avec des lyrics qui ne se prennent pas – complètement – au sérieux. Alaclair Ensemble, autoproclamé « troupe de postrigodon bas-canadienne » ou encore « seul groupe indépendant de cette putain de variette » offre avec « Jean-Claude Van Damme » 3 minutes gonflées aux stéroïdes, entre ode à JCVD et ego trip (étape incontournable des concurrents du rap jeu). Alastair Ensemble sonne au final comme du dirty south francophone, avec ses samples allumés et son parler français à l’accent américain.
Marc Desse – Ma fiancée (Mikaël Choisi)
Bourré de romantisme, ce titre de Marc Desse est un beau mélange entre une énergie bien présente, avec des guitares qui rugissent, et cette voix si caractéristique, un peu traînante. La production généreuse n’étouffe pas la simplicité du morceau, qui a le potentiel d’un vrai hit. Pas étonnant qu’il ouvre le premier album (imminent) du Français.
LouisVille – LouisEville (ChloroPhil)
Parce que ce chanter en français, n’impose pas des références uniquement françaises, parce que Félicia Atkinson et Olivier Cavaillé subliment la musique du Kentucky qu’on aime (celle de Slint, Tortoise ou Will Oldham), et parce que ce titre de plus de six minutes paru en 2009 sur « A Silent Effort In The Night » est parfaitement équilibré entre mélancolie et lyrisme aérien.
Hyperclean – Pénis (Mikaël Choisi)
Passé le premier effet Kiss Cool (oh, ça parle de bite, de cul et de seins), ce titre signé Hyperclean surprend, voire plus encore par sa profondeur instrumentale, son atmosphère langoureuse. Au gang bang frénétique, Hyperclean préfère la lenteur des préliminaires, la chaleur de l’ambiance, et déploie sa mélodie impeccable pour une partie de jambes en l’air un soir d’été (on n’a pas testé, mais ça vaut peut-être le coup d’essayer, non ?)
Chevalrex – Jamais sans ma hâche / Gontard! – Rivoluzionari (ChloroPhil)
Rémy Poncet, a.k.a. Rémy Chante!, a.k.a. Chevalrex et (Chris) Gontard! sont un peu les Jim and William Reid de la Drôme, les Barry, Robin et Maurice Gibb de l’axe Valence – Grenoble, les rois des souterrains de la chanson française. Qui s’intéresse un minimum à ce qui se passe dans le paysage de la pop francophone a nécessairement entendu parler de leur groupe, les Frères Nubuck, qui a officié pendant une dizaine d’année sans avoir le succès qu’il mérite… Que ce soit avec ce groupe déjanté, en solo, ou via leur (feu) label SBHRR (Sorry But Home Recording Records), ces deux hyperactifs n’ont en effet pas chômé : 40 CDs parus sur SBHRR, dont le très réussi album de Noel Belmondo & The Richards, le fabuleux »Restless Legs » d’Oslo Microscopic, la compilation « Home / Fame » (avec Holden, Kim, Ignatus, Cyrz, etc.), 7 albums et Eps des Frères Nubucks et autant d’albums solo de Rémy Chante! ou Gontard!. Une mine d’or pour La Souterraine et les Mostla Tapes… et c’est sans compter les nouvelles productions de ces deux confrères, dont font partie la lancinante « Jamais sans ma hâche » de Chevalrex et l’exaltée « Rivoluzionari » de Gontard!… La révolution est-elle enfin en marche ?
Cliché – Helicon (David Dufeu)
Ça commence doucement, par un groove souterrain, en infrabasses, et des voix lancinantes, un peu psyché, un peu variété, puis le morceau trouve sa vitesse de croisière : un beat sobre mais diablement efficace, sur lequel le chant, paradoxalement, se fait plus intime : on sait brouiller les pistes, chez Cliché, et on sait faire des morceaux aussi efficaces qu’originaux – tout en marchant dans les pas de glorieux aînés, à aller chercher (ou pas) chez la psyché pop des années 90 ou plus basiquement dans le renouveau électro de ces dernières années.
Nouveau Zodiaque – Catastrophe catastrophe (David Dufeu)
Encore un morceau, comme beaucoup sur ces compils, qui rafraîchit la façon dont on écoute du chant en français ; et comme souvent il faut aller chercher dans des traditions anciennes pour comprendre – un peu – la magie de la voix de Xarah Dion, jeune Montréalaise qui officie sous le nom de Nouveau Zodiaque, et sa hauteur troublante, accompagnée d’un piano et d’une batterie sobres. L’ensemble renvoie à la tradition médiévale, de façon moins marquée néanmoins que chez La Baracande, dans le Vol. 3, mais avec un sens du récit, central ici, qui apporte au morceau toute sa substance.
Pain Noir – L’arme (Mickaël Choisi)
Pain Noir, c’est le projet de François-Régis Croisier, alias Saint Augustine. Le passage au français pour les textes n’a certainement pas affecté le talent du songwriter, bien au contraire. D’une voix grave, et sur un rythme enlevé, Pain Noir montre un talent qui donne surtout envie d’en entendre plus. On le savait doué, on le découvre conteur en 3 minutes, comme si de rien n’était : à quand l’album ?
Glockabelle – Un chat fétiche (David Dufeu)
Chez Glockabelle, on est plongé en un quart de tour dans les sixties, avec ces reverbs démesurées, cette voix fraîche et en français, aux paroles naïves, qui rappelle Françoise Hardy ou France Gall. Ajoutez à cela des guitares aiguës et des riffs un peu western, et l’ambiance y est tout à fait. Le morceau est pourtant insidieusement contaminé par des claviers plus modernes, qui opèrent un étrange détournement, dont ce break doucement psyché en plein milieu. Réjouissant.
Aquaserge – A l’amitié (ChloroPhil)
Des riffs psychédéliques, des rythmes (anti) jazz, des mélodies inattendues, des voix blanches comme un matin d’hiver, et des chansons déstructurées qui donnent envie de danser… Aquaserge c’est tout ça. Si leur premier Ep n’est sorti qu’en 2008, ces très chers Benjamin et Manon Glibert, Julien Gasc, Audrey Ginestet et Julien Barbagallo sont réunis depuis presque dix ans maintenant sous le nom de guerre Aquaserge. « A l’amitié » est le titre de leur (très attendu) prochain album qui sort à la fin de ce mois, et aussi celui de ce morceau qui inaugure le Vol. 3 de La Souterraine. Une chanson étrange, fantasque et rétro-futuriste… Tu vois ce que je veux dire ?
Rémi Parson – La Tristesse (David Dufeu)
Beau titre, que cette « Tristesse », au flux tendu et monotone, estampillé eighties, seulement troublé par un instrument ivre (une guitare sous psychotrope ?). Même les paroles, à peine audibles, n’osent pas tout à fait venir casser la dynamique implacable. C’est un peu dommage ; en même temps cela confère au morceau une ambiance doucement claustrophobe, par un Français exilé au Royaume-Uni dont on aimerait avoir d’autres cartes postales, même pluvieuses.
(Please) Don’t Blame Mexico – Les Yeux (David Dufeu)
(Please) Don’t Blame Mexico poursuit son bonhomme de chemin, toujours avec autant d’indépendance ; très loin des humeurs volontiers sautillantes du groupe, le titre proposé ici se contente d’un piano, et de la voix douce et suave, aux accès aigus, de son chanteur Maxime Chamoux (avec pas mal de réverb – mais on a le droit quand les arrangements sont légers derrière). Ou comment faire du piano voix en français, sans être ringard : il suffit visiblement d’inspiration mélodique. C’est le cas ici.
La Baracande – Là haut là haut dedans la tour (David Dufeu)
Explorant les musiques traditionnelles du Centre France, armés d’instruments non moins traditionnels, La Baracande revisite un répertoire qui renvoie l’auditeur à un certain folklore – au sens propre : une cornemuse béchonnet 11 pouces, une vielle à roue, et un chant aux inflexions médiévales, sur une histoire de princesse emprisonnée qui rappelle le Nerval d' »Aurelia » ; mais le quatuor (issu du groupe TOAD, qui revisite des morceaux destinés à la danse) fait doucement dériver le morceau vers des répétitions obsédantes, qui rappelleraient presque le psychédélisme live de groupe comme the Doors, sur des morceaux longs. Au vu de l’effet produit par ce (long) titre, l’expérience en concert promet beaucoup.
Cikatri$ – Quand me réveillerai-je ? (ChloroPhil)
Dans les années 90, les compilations La Souterraine seraient certainement parues sous le label Lithium qui avait lancé des « petits » groupes comme Oslo Telescopic, Diabologum, Da Capo, Mendelson, Holden ou des artistes comme Dominique A, Jérôme Minière, Bertrand Betsch ou Delaney. « Tous les soirs, dans le noir, les fantômes de mes souvenirs se penchent sur moi ». Dés les premiers mots de « Quand me réveillerai-je » c’est à Delaney que j’ai pensé, puis les guitares et keytars rageurs m’ont emmenés vers Oslo Telescopic, pour finir dans le punk-rock alternatif français du début des années 80. Cikatri$ prétend faire du « punk français à destination exclusive des punks suédois », mais leur univers est bien plus étendu. Vivement une distribution en France !
Baptiste W. Hamon – Les bords de l’Yonne (Mikaël Choisi)
C’est par l’intermédiaire du formidable Kim Giani que j’ai entendu ce titre, qu’il a illustré d’un clip au moins aussi beau. Il y a tout ce qui me touche : une simplicité folk déchirante, une voix chaude et une atmosphère pleine de mélancolie, de tristesse rentrée. C’est une belle histoire, un conte que Baptiste W. Hamon, nous raconte. Je n’ai jamais eu autant envie d’arpenter les bords de l’Yonne…
Facteurs Chevaux – Scie (Mikaël Choisi)
Le plaisir que j’ai eu à accueillir Vérone chez moi m’a aussi permis de mettre la main sur le disque de Facteur Chevaux, projet de Fabien (du premier groupe donc) et Sammy Decoster. S’il y a des points communs, Facteurs Chevaux a cette langueur, ce dépouillement qui fait croire à un enregistrement un soir de pleine lune. Et ces voix qui s’entrelacent ont quelque chose de captivant, visant l’épure pour mieux faire naître l’émotion.