Comme un fragment d’architecture, théâtre entre ombre et lumière, photographié par Alfred Stieglitz. Une pochette magnifique, qui en dit un peu sur le disque qu’elle contient : l’évanescence traduit l’incertitude des choses, leur fragilité.
Son auteur lui-même nous prévient dans ses interviews, « Gray Lodge Wisdom » n’est pas le disque d’une renaissance ou d’une rémission. Le fait que Will Stratton, 27 ans aujourd’hui, ait été confronté au cancer, guéri au prix d’un long traitement d’une année, n’a pas modifié radicalement son rapport à la musique. Seules quelques inflexions sont sensibles dans ce cinquième album, particulièrement réussi. Un disque court constitué de huit titres, parfaitement mis en scène par Nico Muhly (Grizzly Bear, Björk), que l’on aura besoin d’écouter de multiples fois pour en saisir toutes les nuances et les aspérités. Rarement on aura entendu des parties de cordes appuyer avec autant d’à-propos et de grâce des compositions de facture classique, leur permettant de s’élever et d’atteindre des sommets de délicatesse (« Yeah, I’ll Require your Love »).
Le folk de Will Stratton est porté par une voix d’exception, fragile, lumineuse, qui se joue de la proximité avec son auditeur, pour émouvoir. Si l’ombre de Nick Drake plane sur le mélancolique « Dreams of Big Sur » ou sur quelques parties instrumentales du disque, Will Stratton sait aussi, comme peu de musiciens américains, marquer un territoire original, du morceau-titre, luxuriant, en ouverture, à un « Fate Song » au long (et magnifique) crescendo en apesanteur. A nous de le suivre. Le voyage auquel il nous invite n’a pas de prix.