Ceux qui suivent le parcours du prolifique Kenny Anderson le savent depuis longtemps déjà : sous l’alias King Creosote, l’homme de Fife a écrit quelques-unes des plus belles plages de l’histoire musicale de son pays. Il était donc inévitable que ce pays auquel il a tant donné lui permette enfin d’obtenir la reconnaissance publique qu’il mérite. Ce qui sera probablement chose faite avec ce nouveau disque, bande originale composée par ses soins pour un documentaire de Virginia Heath consacré à l’Ecosse, dans le cadre des Jeux du Commonwealth.
La notion de bande originale est toutefois à prendre ici avec précaution, « From Scotland with Love » ne s’apparentant en aucun cas à l’un de ces scores entièrement dépendants des images qui les ont inspirés. Produit par le guitariste David McAulay et l’ex-Delgados Paul Savage, cet album se situe au contraire dans la suite logique des précédents ouvrages de King Creosote. Soit une collection de chansons sensibles qui, à l’image de ce tubesque « For One Night Only » rappellant le meilleur de « Bombshell » (2008), mettent à nouveau en lumière le talent de ce mélodiste et parolier inimitable.
Même isolées des documents d’archives qu’elles sont censées accompagner, des merveilles comme « Cargill » ou « Pauper’s Dough » griffonnent une poésie doucement mélancolique, tandis que le fiévreux « Largs » fait naître la vision d’un antique repaire de marins transformé pour un soir en dancing enfumé pour fêtards nostalgiques. Et puisque là-bas, les hommes finissent toujours par reprendre la mer, c’est au son de cordes brumeuses que tous les « Miserable Strangers » repartiront ensuite arpenter les flots, avant de regagner à nouveau le port, accueillis par les choeurs d’enfants du chaleureux « Bluebell, Cockleshell, 123 ».
Transposant dans ses folksongs vibrantes les traditions, les évolutions et les nombreuses spécificités de la vie à l’écossaise, Anderson dresse en parallèle son propre portrait. Celui d’un artiste dont la musique, à cheval entre tradition et modernité, a toujours pris soin de se renouveler et de progresser, tout en conservant un lien fort avec ses racines calédoniennes. C’est donc paradoxalement en se pliant à l’exercice d’un album thématique, et en se glissant dans la peau d’autres personnages (y compris féminins), que le songwriter signe aujourd’hui l’une de ses oeuvres les plus personnelles.
Il est toujours difficile pour un artiste de donner une suite à ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’oeuvre. Pourtant, trois ans après un inusable « Diamond Mine » (en collaboration avec l’électronicien Jon Hopkins) qui lui aura valu tant de louanges, King Creosote réussi de nouveau à se surpasser. S’il parvient à maintenir sa musique à des hauteurs stratosphériques, le garçon rend aussi à son Ecosse natale le plus beau des hommages : il a écrit pour elle l’un des meilleurs disques de sa carrière.