Un vieux briscard, rappeur et entrepreneur notoire de La Nouvelle-Orléans, s’achète une nouvelle jeunesse en s’acoquinant avec deux figures émergentes de la génération 2010, le temps d’une mixtape. Cette histoire, on la connait déjà. Elle a été celle, en 2013, du Louie V Mob, un trio formé avec Master P par Fat Trel et Alley Boy. Un an plus tard, elle est aussi celle de Birdman, qui a pris sous son aile d’homme oiseau deux valeurs montantes du rap d’Atlanta, Rich Homie Quan et Young Thug, et a sorti avec eux, sous le nom de Rich Gang, un long album gratuit, The Tour Part 1. La comparaison entre les deux projets, cependant, s’arrête là.
Contrairement à son concurrent, Birdman n’intervient que très peu dans l’histoire. Il rappe à peine sur cette mixtape. Il ne fait, pour l’essentiel, que prêter sa notoriété, son nom et celui du Rich Gang (en 2013, c’est l’ensemble de l’écurie Cash Money / Young Money qui avait été baptisée ainsi) aux deux autres rappeurs. Pour l’essentiel, The Tour Part 1 est leur affaire, et celle de London On Da Track, qui en produit l’essentiel. Rich Homie Quan et Young Thug y déploient les styles par lesquels ils se sont fait respectivement connaitre, deux styles emblématiques du rap contemporain : un rappé-chanté à la Future pour le premier (le formidable « War Ready », « Hate I » et « Everything I Got »), et un post-rap bizarre et dérangé pour le second (« See You », l’excellent « 730 », « Pull Up », « Who’s on Top »), empiétant parfois l’un sur le territoire de l’autre, comme sur le quasi-tube « Flava ».
Si quelques thèmes généraux se dégagent de l’album, celui, classique, du délire nouveau riche, ou l’amour des rappeurs pour les bitches, c’est avant tout sur la forme que les deux hommes s’illustrent. Qu’ils s’expriment sur le même titre ou sur des morceaux solo, ils se complètent à merveille. Mais bien sûr, celui qu’on remarque le plus sur cette mixtape, c’est aussi celui qui surnage dans le paysage rap actuel avec son style expérimental, imprévisible et épileptique : à savoir Young Thug. Pourtant, ce n’est pas le même Young Thug que d’habitude que l’on entend ici, celui de 1017 Thug, celui que l’on entendait rivaliser d’étrangetés et d’absurdités avec un autre détraqué, Bloody Jay, sur la mixtape Black Portland.
Non, c’est au contraire un Young Thug domestiqué, apprivoisé, presque calme, que Birdman parraine ici ; un Young Thug en sourdine, en retenue ; un Young Thug qui, alors que sa notoriété ne cesse de grandir, chercherait à ne plus effaroucher le grand public avec ses manières de folle hystérique qui ont fait douter certains de sa sexualité. D’aucuns pourront regretter son côté allumé et ses raps de fous furieux qui vous sautent à la gorge. Et de fait, des titres creux sont présents ici, surtout dans la seconde moitié. Mais à bien écouter, l’incroyable versatilité de Young Thug affleure toujours, au-delà de ce côté plus maîtrisé. Le rappeur le plus inspiré de notre temps ne s’affadit qu’en partie sur cette mixtape bien trop propre et bien trop longue, mais forte de quelques grands moments. Il ne fait que nous livrer, une fois encore, une nouvelle facette de lui-même : sa facette la plus pop.