Octobre 2014 : la première écoute de « The Party Line » a de quoi dérouter les fans les plus fervents de Belle and Sebastian. Le single annonçant le premier album du groupe en l’espace de cinq ans s’annonce sous le signe d’une disco-pop enjouée à l’intro spatiale. Mais les écoutes s’enchaînant viennent confirmer l’efficacité du titre comme une entrée en matière maîtrisée, rappelant la surprise qu’avaient pu procurer en leur temps l’ovni soul « Lazy Line Painter Jane » ou l’expérimental « Electronic Renaissance » sur leurs premiers disques.
Peut-être fallait-il s’attendre à un tel revirement électro-pop, certes non généralisé, sur certains titres du nouvel album des Ecossais ? D’un collectif d’étudiants attardés ne se produisant jamais sur scène à ses débuts au milieu des années 90, les membres de Belle and Sebastian se sont en effet par la suite illustrés dans des live participatifs plus qu’endiablés. Quiconque a eu la chance de voir la bande de Stuart Murdoch en concert aura peut-être la chance de monter sur scène pour chanter « Dirty Dream #2 » ou de danser avec allégresse avec une dizaine de fans sur « The Boy with the Arab Strap ». Il ne faut donc sans doute pas être surpris de voir débarquer sur ce « Girls in Peacetime Want to Dance » un titre évoquant la poétesse sensible et torturée Sylvia Plath sur des accents europop à la limite du bon goût. Et si Stuart portera toujours des coudières en cuir à son jacquard plutôt qu’une chemise disco en soie, il s’est sacrément décomplexé au fil du temps !
Preuve en est la description à coeur ouvert du syndrome de fatigue dont le chanteur souffrait dans sa jeunesse (également évoqué dans le film qu’il a réalisé en 2014, « God Help the Girl ») dans « Nobody’s Empire », magnifique morceau ouvrant cet album : chanson hautement personnelle où le leader de Belle and Sebastian ne se cache pas derrière un de ses nombreux personnages, et où il rend hommage à la personne lui ayant tendu la main dans ces moments difficiles: « There was a girl that sang like the chime of a bell/She put out her arm and she touched me when I was in hell ». Débutant par un piano rythmé, ce titre construit sur la durée se dirige vers un apogée où les chœurs gospel accompagnent l’émotion des paroles.
Les titres les plus entraînants, fonctionnant à grand renfort de ponts et de rebondissements marqués par des roulements de batterie sont, outre les plus ouvertement disco « The Party Line », « Play for Today » et « Enter Sylvia Plath », les enlevés « Allie », « The Book of You » ou « Perfect couples » (chanté par le guitariste Stevie Jackson). Mais ces derniers sonnent familiers, renouant avec le swing cuivré ou les rythmes enlevés déjà déployés sur l’énergisant « Legal Man » par exemple ou encore sur des titres des albums « Dear Catastrophe Waitress » ou « Write about Love ». Et ces morceaux très ouvertement festifs côtoient aussi la pop orfévrée à laquelle Belle and Sebastian nous a habitués, ces discrets chuchotements qui derrière leur apparente neutralité, touchent au cœur. Les arrangements de « The Cat with the Cream » nous ramènent dans le temps sur la pointe des pieds, époque « If You’re Feeling Sinister », tandis qu’on retrouve dans « Ever Had a Little Faith ? » la voix cristalline de Stuart, comme une caresse enrobée de cordes sinueuses, parfois doublée de celle de Stevie. Ce qui est plus dérangeant, c’est que certaines mélodies, typiques des créations habituelles du collectif écossais, semblent s’être greffées sur des rythmes artificiels qui ne leur ressemblent que peu (l’ambiance cabaret russe dans « The Everlasting Muse »), ou semblent être affublées d’effets inutiles, notamment la réverb’ sur la voix angélique de la multi-instrumentiste Sarah Martin dans « The Power of Three ».
En conclusion, « Girls in Peacetime Want to Dance » ressemble à un grand écart, avec pour trait d’union les incursions déjà remarquées ces dernières années vers des titres pétillants aux rythmes chaloupés voire dansants : d’un côté une identité pop intimiste subtile et de l’autre, un virage tout récent les emmenant vers des territoires où les synthés et les rythmes dance servent une forme de vitrine plus clinquante. Une exploration louable au bout de 20 ans de carrière, par moments réussie (« The Party Line »), mais qui pourrait aussi donner envie à de nombreux fans de se replonger dans les disques produits par Belle and Sebastian dans les 90’s. Et qui sait, peut-être jeter dans quelque temps un regard neuf sur ces choix de production déconcertants…?