C’est l’histoire d’un rendez-vous raté : un déménagement, un disque qui n’arrive pas à la bonne adresse, un mail de relance et une réponse qui se perd dans les méandres de cuivre d’un ordinateur. L’histoire d’un disque sur lequel son auteur a beaucoup misé – c’est naturel – mais l’histoire d’un disque qui ne crie pas, ne hurle pas, ne provoque pas forcément le buzz, seul carburant semble-t-il des médias et d’une industrie musicale qui peine à se renouveler. Et quand bien même il voudrait crier, ce disque, il se retrouverait en concurrence avec mille autres, entassés et piaillant comme des poussins en batterie.
Ne nous y trompons pas : je ne suis pas en train de dire que cet album est un chef-d’oeuvre perdu dans une multitude d’ouvrages médiocres : « Ridyller, Rasitorier, Rasibus » est un disque honnête, fait par un artisan scrupuleux, méticuleux, au milieu de milliers d’albums honnêtes, parfois un peu poseurs peut-être, qui sortent chaque année dans le grand vivier de la chanson et de la musique pop/folk/rock qui nous intéresse chez POPnews. Un album honnête avec ses qualités : une option acoustique assumée tout au long du disque, avec le jeu de guitare souvent virtuose de Crab, entre arpèges de la tradition folk et accents jazz (particulièrement réussie sur « un très joli pter bois ») ; une volonté, malgré une instrumentation souvent minimale (en général une ou deux guitares, quelques voix, une basse parfois) de sortir du cadre de la chanson conventionnelle en étirant certains titres ou en parsemant d’autres d’enregistrements divers ou de gimmicks électroniques (« Le Pont », « Les Compagnies cycloportées ») ; enfin, un soin particulier apporté aux paroles, avec tournures de phrases complexes et vocabulaire recherché – même si parfois, on peut regretter un peu plus de simplicité. Car l’album honnête a aussi ses défauts : celui évoqué à l’instant donc ou le fait qu’on aimerait probablement y trouver plus de fulgurances mélodiques : Philippe Crab a beau s’abreuver à d’innombrables sources (musiques anciennes, orientales, …) il me semble plus convaincant lorsqu’il s’affranchit vraiment des codes de ces musiques (comme dans « Le rasoir d’O » ou « Lycophron »). Mais il serait dommage de s’arrêter là : le chanteur a plusieurs cordes à son arc (il a participé notamment à la musique de « Encerclés par l’état islamique », l’excellent documentaire de Xavier Muntz) et, c’est certain, avec « Ridyller, Rasitorier, Rasibus », Philippe Crab nous livre un album original et singulier.