En ces premiers jours de printemps nous voici conviés par Françoiz Breut dans son parc animalier et musical, l’album « Zoo ». Pourtant, dès la première écoute, c’est l’omniprésence des éléments naturels qui nous frappe : la mer, l’air en altitude, solaire ou tropical et la lune nous invitent inévitablement à l’évasion. On y trouve aussi le vent et l’orage, la lumière du soleil, les éclairs, les lumières numériques, l’ombre qui s’allonge et l’obscurité. Ainsi, les formes animales et humaines n’apparaissent d’abord qu’indirectement : les cargos à l’horizon et l’Angleterre, les ombres, leurs nuances et tons inespérés. Les premiers animaux sont même minéraux et célestes : Cassiopée, Pollux, le crabe nébuleux, Véga, Alpha.
Enfin, les bêtes se présentent à nous, souvent de manière inquiétante : une araignée qui tisse sa toile dans la tête ou dans l’espace numérique, des papillons dans le ventre, un chat errant, des félins miaulant, un éléphant de six tonnes, un serpent aux cheveux bouclés, des animaux errants Streunerin, des mouches, … L’homme et la femme sont présents sous forme mystique (Adam et Ève), puis végétale. L’arbre, et ses grands bras puissants, semble répondre à Dominique A (« Contre un arbre »). La dimension onirique est très marquée, et le rêve peut virer au cauchemar. Des monstres, zombies atones et Morlocks s’invitent. Et le corps devenu zoo pénètre et torture l’artiste, jusqu’au point de non retour final : la mutation bestiale prédatrice (« La Proie », un grand final). Ainsi, par le jeu des situations inquiétantes et des confrontations, ces animaux attisent la bestialité de nos relations humaines, en particulier amoureuses.
Pourtant, ce zoo est avant tout minéral et matériel et ses éléments convoquent nos sens. Les forces sont physiques, nous envahissent et nous poussent aux contre-forces : les miaulements électriques, les sons corrosifs, les ailes poudreuses, la peau rugueuse et élastique, le courant marin, le poids des muscles, le souffle, le fracas des machines avant de nous engloutir. Françoiz nous alerte : pourra-t-on, malgré tout, survivre dans ce monde matériel qui n’en fait qu’à sa tête ? La voix, naturellement chaude et sensuelle, devient distante et parfois presque atone. L’élocution en allemand (« Morlocks und Die Streunerin ») prend une dimension scientifique, informative, presque inhumaine et minérale. L’artiste nous plonge ainsi dans un matérialisme sensoriel du plus bel effet, mais angoissant.
L’écriture musicale est impeccable. Stéphane Daubersy attrape au vol les mélodies que Françoiz lui abandonne. Il les développe et les drape de musiques pop toujours belles, serrées, près du corps. La production musicale est très soignée. Adrian Utley, membre et maître d’œuvre du son de Portishead, habille magistralement les mots et les mélodies. Le son est magnifique, à la fois actuel et atemporel. Il y a de jolies références aux années soixante, jusque dans la voix (« Deep Sea Water »). Dans « Zoo », on est bercé par les ambiances floydiennes période « More ». Des basses qui claquent comme tout droit sorties de « Pet Sounds », des guitares énergiques, des solos en son clair, des claviers vintage, des arpèges et sons des synthés des années 70-80. Quelques belles cordes symphoniques aussi. Le tout, avec une recherche permanente de légèreté, qui contraste avec la sévérité du bestiaire.
Joel FLEURANCEAU