Passé un peu inaperçu à sa sortie au printemps 2015, avec Black Halo, l’ancien chanteur du projet Post-Rock Aarktica prouve une fois encore après A Wolf In Preacher’s Clothes l’étendue de son spectre musical qui doit autant à une Amérique fantasmée des Fifities qu’à une certaine élégance Pop.
Jon Derosa est une erreur temporelle, un être d’un autre temps, une parenthèse. Ouvrir un disque de l’américain, c’est se laisser aller au parfum qui exhale des romans fleuves de James Ellroy, c’est se perdre dans les ruelles aux maisons uniformes avec ces vies uniformes et lisses. Ces petites boites dans d’autres petites boites comme dit la chanson.
Chez Jon Derosa, la quiétude n’est que de façade tant on sent dans l’arrière-gorge comme l’amertume d’un alcool fort.
Bien sûr, on pensera à Richard Hawley pour ce même tropisme pour des mélodies en clair-obscur comme des traits d’union entre les Torch Singers des années 30 et les générations de Roy Orbinson ou de Charlie Rich.
Mais Jon Derosa a cette pertinence de ne pas limiter son propos à la seule monochromie des crépuscules. On s’étonnera ici et là de trouver les traces de la chaleur d’Arthur Lee et Love ou la bonhommie d’un Robert Mitchum chanteur à découvrir si vous ne connaissez que la facette acteur de l’icône.
Le grand tour de force du new yorkais, c’est que bien qu’évoluant dans un univers référencé et « passéiste », il parvient à en extraire toute l’actualité tout en lui offrant une patine d’un temps qui s’accélérait.
Ces 12 titres qui constituent Black Halo se construisent autour d’une rythmique riche et fluctuante, la faute sans doute au passé de batteur de Jon Derosa. On pourrait penser parfois au Divine Comedy de Neil Hannon dans les inflexions vocales si les orientations n’étaient aussi américaines quand chez l’irlandais, ses terres sont européennes. On pensera aussi au Stephin Merritt des Magnetic Fields avec qui il collabore d’ailleurs sur un titre sur l’album. Rien d’étonnant que ces deux-là se soient trouvés tant on comprend qu’ils ont bien plus que des proximités, qu’ils sont nimbés de cet étrange côté désuet qui les rend à la fois si singuliers et en même temps si attachants.
On pensera parfois à Timber Timbre mais autant le bayou se fait sentir du côté de Taylor Kirk avec ce blues déviant, autant chez Jon Derosa, on est dans des routes de dérobée, dans la sensualité surannée d’un crooner avec cette juste mesure de distance.
Chez Jon Derosa, il y a cette solarité tranquille et nonchalante, jamais complètement tranquille mais jamais totalement nimbée d’ombres non plus. Il y a ces climats latins qui ne dépareilleraient pas sur un disque de Calexico ou de la trop rare Paula Frazer.
Divinement entourée par la lumineuse Carina Round au chant sur certains titres, la musique de l’américain le conduit presque en pilote automatique du côté du Blue Velvet de David Lynch.
Les chemins que parcourt Jon Derosa, ce sont eux empruntés par Harry Nilsson ou Fred Neil mais qui iraient chercher dans la préhistoire du Rock, à cette charnière exacte où la musique Populaire des années 30 devint tout doucement une expression moderne, l’expression de nos voix. Une expression encore naïve mais de ces naïvetés pleinement assumées. Un peu comme ces vieux films aux voix chevrotantes et aux manières d’être qui nous ressemblent mais en même temps sont d’un autre terriroire.
Jon Derosa joue à nous déstabiliser et à nous projeter dans d’autres sphères, quelque part à nous dépayser de nos prés bien trop carrés.