Après quelques incartades du côté de Trenet (un album de reprises sorti l’été dernier), Benjamin Biolay revient à la composition et signe un retour aussi attendu que réussi avec Palermo Hollywood.
On commençait à perdre le goût de l’attente pour Benjamin Biolay. Il faut dire que son dernier album de chansons originales, « Vengeance« , avait malheureusement diminué l’attachement porté à l’originaire de Villefranche-sur-Saône. Recueil de chansons trop radiophoniques, exagérément constitué de collaborations. Surtout, on y perdait ce sentiment d’unicité, constitutif des grands albums que sont « Rose Kennedy« , « Négatif » ou bien sûr « La Superbe« . Cette manière très propre à l’auteur d’agencer un album autour d’une trame souterraine, de sorte à créer entre chaque chanson une écoute sophistiquée, symbolique et changeante.
C’est de nouveau le cas avec « Palermo Hollywood », écrit et enregistré entre Paris et Buenos Aires. La trame centrale y est l’Argentine, ses quartiers cosmopolites et sa culture de la danse, du football, de la sensualité. Environnement de déambulation et d’introspection pour le chanteur, comme l’illustrent les clips de « Miss Miss » ou « La Débandade ».
Et si l’on retrouve, dès le titre d’ouverture, les traits caractéristiques de l’auteur (mélancolie, egotrip et orchestrations grandiloquentes, pour être caricatural), on est surpris par l’irrigation profonde de l’Argentine dans la forme musicale. Bien plus qu’un exercice de style, « Palermo Hollywood » se déroule comme la bande-son d’une admiration profonde pour la culture sud-américaine. Les arrangements de cordes bien connus de l’auteur se mêlent à de surprenants motifs reggae, la pop se métisse avec le tango, et de nombreux paysages sonores illustrent la vie nocturne du quartier de Palermo, où Biolay a composé une grande partie des titres. Ainsi le très sensuel « Palermo Queen », ode séductive invoquant les night-clubs de Buenos Aires ; l’instrumental et classieux « Borges Futbol Club », qui utilise en fond sonore les commentaires du match de foot historique Argentine-Angleterre, ou encore « La Noche Ya No Existe », titre assumant complètement son caractère rock latino, loin de l’image parfois austère que l’on prête au chanteur.
Encore moins déguisée qu’à l’accoutumée, la dimension cinématographique des arrangements est très présente sur l’album, qui comporte de superbes plages musicales (« Borges Futbol Club » et surtout « Yokoonomatopea », avec la lecture d’un poème de Borges). On décèle également certains rappels à des albums antérieurs, et notamment à « Trash Yéyé » pour les arrangements d’instruments à vent (« Borges Futbol Club », qui n’est pas sans rappeler le très exotique « Cactus Concerto »), révélateurs de l’admiration pour Ennio Morricone et les grands compositeurs de musique de films.
Les paroles réservent elles aussi de charmantes surprises, comme ce « Miss Miss », proche du « Miss Catastrophe » de « la Superbe », et symptomatique de l’exigence formelle de l’auteur dans l’écriture. De manière très anglo-saxonne, les textes mêlent à un champ lexical soutenu des images plus frontales, participant au caractère toujours très antagoniste des paroles (ce jeu permanent entre l’observation et l’allusion, entre la délicatesse des inspirations littéraires et la spontanéïté du langage de rue). « Ballade Française », pièce conclusive de l’album, s’attarde sur une métrique admirable et une sensibilité poétique très gainsbourienne, sans toutefois ronger le frein de ses influences. On notera également tout l’art de la citation dont Biolay est capable, avec l’évocation discrète mais impeccable de « La Ballade de Melody Nelson » sur l’instrumental « Borges Futbol Club ».
Et même si quelques facilités délient l’ensemble de l’album (« Pas d’Ici », qui rappelle brièvement les travers de « Vengeance », et quelques lourdeurs évitables dans le fond), il est évident que Biolay, de nouveau, renoue avec l’exigence de la forme, en assumant une expression plus lumineuse qu’autrefois. Comme « Trash Yéyé » ou « A l’Origine« , Palermo Hollywood est un vaste tableau d’impressions intimes et formelles. Mais contrairement à ces derniers, le caractère précieux, voire capricieux des orchestrations est devenu plus discret, écarté par l’ouverture à des styles musicaux variés et moins étroits. Heureux résultat, qui permet de prolonger (enfin) l’étoffe de « La Superbe », en ouvrant encore un peu plus les sillons d’une discographie toujours plus exigeante et dense.