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Disques

Manu Lann Huel, Arnaud Le Gouëfflec, Olivier Polard, John Trap – Un rien de temps

Manu Lann Huel - Un rien de temps

Le vétéran brestois Manu Lann Huel délivre un disque comme une longue odyssée rocailleuse accompagné ici de ses amis de l’excellent label L’eglise de la petite Folie, Arnaud Le Gouëfflec et ses complices de création.

Il ne faut pas croire tout ce que dit la presse, ne pas prendre pour parole d’évangile ce que disent les journaux télé. Sans vouloir contribuer de ces rumeurs, de ces légendes citadines dont on ne sait plus très bien l’origine, je ne vous parlerai pas ici des alligators qui hantent nos égouts. Non, je ne suis pas aussi crédule. Non, loin de là.

On vous a dit, vous devez vous en rappeler que Léo Ferré est mort en 1993, un 14 juillet comme un dernier geste de provocation, comme un doigt d’honneur du vieil anar. Et bien, oubliez tout cela. Léo Ferré n’est pas mort. Il est bel et bien vivant. Bon, certes, il a changé d’identité pour filer la vie tranquille. il s’appelle désormais Manu Lann Huel, Il a délaissé l’humeur des olives pour l’aspérité du granit. 

En bon Brestois que je suis, je le croise souvent au café de la Plage du côté de la place Guerin, non loin de l’excellent disquaire Bad Seeds ou de la librairie (caverne d’Ali Baba) de Daniel Roignant. Il est bien sur cette place, comme une foire aux miracles, le Léo nouveau. C’est sans doute ici entre deux saucées et un passage au rade que Manu Lann Huel a croisé un certain Arnaud Le Gouëfflec, artiste polymorphe, un pied dans le monde de la BD, l’autre dans le roman, une oreille dans sa musique et son label L’église de la petite folie, l’autre dans la préparation d’un nouveau Festival Invisible.

A son contact, le Léo nouveau que nous appellerons désormais Manu Lann Huel pour ne pas vous égarer en cours de route, a ouvert son horizon musical à l’idée de la longue odyssée, à mi-chemin entre la frontalité régressive d’un Eugene Chadbourne et une théâtralité marquée. Quelle ouverture à ce disque que ce « J’en suis venu aux mains » comme un lent et douloureux aveu, comme une reconnaissance d’impuissance à chercher en vain la légèreté.  On retrouve à peu de choses près la même équipe qui entourait Arnaud Le Gouefflec sur « Deux fois dans le même fleuve ». L’historien du rock breton et brestois, le guitariste Olivier Polard, le génial John Trap auteur d’une belle collection de disques tous plus inventifs les uns que les autres et Arnaud Le Gouefflec, patron du fameux label. De cette rencontre, s’affirme une musique qui se refuse au classement, ici électrique, là atmosphérique.

Prenez « Le front de mer » bien loin des cartes postales à la couleur locale outrée. On est dans cette vraie cruauté des paysages d’automne, ces plages venteuses et froides où même planqués sous nos capuches épaisses, l’on ne parvient à se réchauffer. Il y a ce « Chanté à vif », cette voix d’érosion de Manu Lann Huel qui sait être tour à tour orageux puis apaisé.

Avec « Chasse-moi », on retrouve ce goût d’Arnaud Le Gouëfflec pour la répétition, l’expression atone et monotone du primitif et du tribal. Ce ne sera pas ces presque cris de Manu Lann Huel au terme de ce titre qui viendront effacer cette impression de mantra avec ses paroles à tiroir. Ceux qui connaissent le répertoire d’Arnaud le Gouefflec y retrouveront certains des ingrédients que l’on aimait dans sa collaboration avec John Trap sur « Soleil Serpent ». 

« Un rien de temps » qui donne son titre à l’album porte la marque de John Trap avec ses airs de comptines abimées, toute en rupture bienvenue. Arnaud Le Gouëfflec et ses sbires participent de ce lâcher-prise, on connait l’attirance de celui-là pour les artistes déglingués à la limite ou parfois pleinement dans l’art brut, de Daniel Jonhston à Faust.

La vraie intelligence de ce disque, c’est sans doute de se refuser justement toute forme d’intelligence. Ici pas de volonté de maîtrise, pas de brainstorming éreintant. Se dégagent de ces titres une improvisation, un flux de conscience vaguement apprivoisé. « Le pire n’est jamais certain » et son Spoken Word glaçant ou « Vie de Manchec » comme un Gwerz qui aurait découvert la tension électrique. N’oubliez pas que le Leo Ferré nouveau, Manu Lann Huel est à l’origine un chanteur de « musique bretonne » qui a entre autres adapté les textes de son ami Per Jakez Elias (auteur du « cheval d’orgueil »). Pourtant, ici, c’est une celtitude dépravée par d’autres horizons géographiques, un Orient de pacotille, une Amérique sans murailles.

Léo Ferré n’est pas mort, il est bel et bien vivant. Il vit dans la bonne ville de Brest et s’appelle Manu Lann-Huel… Si vous ne me croyez pas, écoutez donc ce disque, bande d’incrédules…

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