Le rap n’est plus un genre léger. Ni son pendant engagé (ou ce qu’il en reste), ni son opposé matérialiste et violent, ne respirent la joie de vivre. Quand bien même le rap se montre hédoniste, quand il est taillé pour les clubs et que ses acteurs se mettent en scène en train de prendre du bon temps, c’est le plus souvent sur le mode nihiliste de la débauche, de la toxicomanie et de l’aliénation mentale. Ou bien c’est dans un souci d’afficher sa puissance et sa réussite, qui sent à plein nez la compétition et l’esprit de revanche. Aussi, fin 2015, quand Kamaiyah a surgi avec « How Does it Feel », ce single a-t-il été accueilli comme une bouffée d’air frais.
Sur un mode primesautier, la jeune femme originaire d’Oakland (plus que jamais le cœur battant de la scène rap, dans la Baie de San Francisco) y cherchait le bonheur dans la grisaille. Elle nous parlait de son goût pour les plaisirs simples dans un contexte qui ne s’y prêtait pas, celui de la pauvreté. Ce thème, cet état d’esprit, la rappeuse allait les décliner encore quelques mois plus tard, au début 2016, sur une mixtape nommée fort à propos A Good Night in the Ghetto, et exhibant sur sa pochette toute une bande de gens joyeux. Elle cherchait à y renouer avec ses idoles, TLC, Lauryn Hill, Missy Elliott, des femmes comme elle, situées quelque part entre rap et R&B, apparues à une époque où elle marchait à peine, les années 90, mais où le rap pouvait être encore sautillant et groovy.
D’entrée, dès l’entraînant « I’m On », Kamaiyah capitalise sur « How Does it Feel », elle le paraphrase en demandant une fois encore « how does it feel to be rich? ». Son parti-pris épicurien s’illustre aussi sur « Mo Money, Mo Problems », une ode bon enfant aux plaisirs matériels, et sur « Ain’t Going Home Tonight », une autre sur l’errance en voiture. Avec « Freaky Freaks », il est question d’ivresse, et avec « Niggas », de liberté sexuelle. Et l’amour, à nouveau, est un sentiment sur lequel s’épancher avec « Come Back ». Un titre, un seul, va à l’encontre de cette ambiance légère : le conclusif « For My Dawg », un bel hommage à un ami mort et à un autre atteint d’un cancer. Figurant sur la pochette, ce dernier est décédé depuis…
La rappeuse plonge ses racines dans une époque ancienne, celle mentionnée plus tôt, et aussi dans le g-funk de sa Californie natale, dont on retrouve la souplesse, les sons vintage et les sirènes. Mais sa musique est contemporaine. On y entend aussi les rythmes et les routines du style ratchet. A Good Night in the Ghetto révèle d’ailleurs une connexion avec le rappeur le plus emblématique du genre, YG, seule personnalité présente sur ce projet (les autres étant d’obscurs représentants du collectif de Kamaiyah, le Big Money Gang). L’homme de Compton participe en effet au titre « Fuck It Up ». Et récemment, la rappeuse lui a rendu la pareille sur un morceau de son dernier album, le très médiatisé Still Brazy, en compagnie d’un certain Drake. Sachant que ce dernier colle au dernier buzz comme les mouches collent à la merde, tout cela semble dire que les choses sont bien engagées pour que Kamaiyah monte plus haut. Ce qui serait assez mérité.