Début octobre 2007, Playaz Circle sortait « Duffle Bag Boy », un single destiné à placer sur orbite un premier album, »Supply & Demand« , prévu pour la fin du mois. Sur ce titre, le duo d’Atlanta bénéficiait d’un renfort de poids en la personne de Lil Wayne. Il s’agissait alors de la première grande manifestation de complicité entre le rappeur le plus important de l’époque, et celui qui, une fois lancé avec succès dans une carrière solo, abandonnerait le nom de Tity Boi. D’autres collaborations suivraient. L’homme répondant désormais au nom de 2 Chainz inviterait la star de La Nouvelle-Orléans sur chacune de ses mixtapes, et en 2013, ils sortiraient deux autres singles en commun, « Rich as Fuck » et « Twerk Season ». Il était donc attendu qu’un jour, ces deux là se décident à enregistrer ensemble tout un album.
A cause de déboires avec son label, Lil Wayne n’a pas été autorisé à signer ColleGrove de son nom, mais 2 Chainz a souligné par d’autres moyens qu’il s’agissait bel et bien d’un projet à deux : par le titre, tout d’abord, un mot-valise composé de celui des endroits où ils ont grandi, pour l’un College Park, près d’Atlanta, et pour l’autre Hollygrove, à La Nouvelle-Orléans ; et par la pochette, où l’on voit 2 Chainz paré des tatouages faciaux de son compère. Par ailleurs, Lil Wayne contribue à 8 titres sur 13, et il n’y fait pas que de la figuration. C’est bien lui qui est mis en avant, sur les premières plages du disque. Il s’offre un a cappella en ouverture de « Smell Like Money », avant que l’autre ne prenne le relai sur une musique atmosphérique assez canon signée Da Honorable C.N.O.T.E. Sur ce titre, Weezy s’accapare le refrain, comme sur l’ode à la drogue « Gotta Lotta », où a été convié Mannie Fresh, producteur historique de Cash Money. Et sur « Bounce », les deux s’amusent à rapper l’un à la suite de l’autre, dans un concours de bons mots.
C’est par contrainte, si cet album à deux est sorti sous le seul nom de 2 Chainz. Et pourtant, il y a une logique, ce dernier étant malgré tout la force dominante sur « ColleGrove ». En dépit de sa révérence pour Lil Wayne, qu’il souligne dès une introduction intitulée « Dedication », en référence à la série de mixtapes sortie par l’homme de La Nouvelle-Orléans, c’est celui d’Atlanta qui impose sa marque ici : celle d’un trap rap gentiment loufoque mais terriblement accrocheur ; celle d’un second couteau plutôt que d’un innovateur, mais qui sait capturer l’esprit de son temps, comme il le fait sur « 100 Joints », avec ses marmonnements rap très contemporains, ou sur « Watch Out », un titre irrésistible (présent sur la version iTunes du disque uniquement), et qui n’est pourtant qu’une copie en règle de « U Guessed It », le tube d’OG Maco. Ses titres solos issus pour partie de mixtapes récentes, ne sont en fait pas moins marquants que les autres, notamment « MF’N Right », avec son instru légère et sautillante offerte par Mike Will et Zaytoven.
A mesure que l’album progresse, on n’entend plus que lui, 2 Chainz. On ne retient plus que sa prestation. Sans le vouloir, et en contraste avec Lil Wayne, star autrefois précoce, mais aujourd’hui sur le déclin, il confirme son statut : celui, inverse, et unique, d’un rappeur traversant sur le tard les meilleures années de sa carrière. Aussi, bien plus qu’une collaboration, « ColleGrove » apparait-il essentiellement comme l’hommage d’un homme en forme à son mentor fatigué.