Parti vivre à New York, Matthieu Eveillard, membre du collectif rennais Kowalski, ose franchir le cap d’un premier album solo avec un hommage puissant à la ville qui l’héberge.
11 septembre oblige, on n’en finit pas de revenir sur les terribles évenements qui marquèrent New York il y a déjà 15 ans, autant dire une éternité. Nous ne nous prêterons pas ici à des analyses de géopolitique mais force est de reconnaître que les événements du 11 septembre sont à la fois très éloignés dans le temps mais aussi très présents dans notre présent. On n’en finit pas de voir jusqu’à l’indigestion médiatique les images des tours qui s’effondrent, d’entendre les phrases lourdaudes de tel ou tel politique. Ce n’est pas ce New York là que l’on veut garder en mémoire avec son patriotisme exarcerbé et se va t’en guerre. C’est celui du CbGb, celui de Patti Smith, du Velvet Underground et de Lou Reed. Pas une ville figée dans une posture d’hommage, non mais plutôt la grosse pomme créative et excitante, terreau de tous les courants musicaux qui ont stimulé nos oreilles.
Pourtant, force est de reconnaître que depuis le 11 septembre aucun groupe essentiel n’a vraiment émergé de ses rues comme si les new yorkais ne parvenaient à mesurer l’étendue du traumatisme musicalement.
Matthieu Eveillard, membre du groupe rennais Kowalski, lui, n’en a que faire de l’hommage. C’est plus le regard émerveillé d’un européen sur un lieu exotique. Jamais les choses ne sont dites sur « New York », pourtant on y devine l’aspect tentaculaire, les tunnels du monstre citadin. On retrouve sur ce premier disque de Matthieu Eveillard la même sècheresse que celle que l’on aime chez Bill Callahan avec ou sans Smog. Du côté de la voix, il y a une troublante similitude avec celle de Bertrand Cantat mais qui aurait appris la maîtrise et la sobriété. On comprend très vite à l’écoute de ces treize titres une volonté narratrice, un jeu avec l’espace et le temps, l’intelligence de diluer ses propos dans la durée. Ecoutez « Notre musique » en ouverture et sa longue complainte minimale et l’animal que l’on chérit en soi.
Matthieu Eveillard ne chosit pas entre la distance pudique et le lyrisme retenu et c’est très bien ainsi. C’est souvent glaçant et frontal. Centrés autour d’une, parfois deux guitares et du chant de Matthieu Eveillard, les treize titres qui forment le tout cohérent de « New York » évitent le piège de la linéarité par le chant possédé qui ne sera pas sans rappeler celui de David Eugene Edwards de Sixteen Horsepower et Woven Hand. Il y a dans le Folk du rennais de la Pop et dans sa Pop du Folk avec cette envie de maintenir l’attention de l’autre à travers des fractures rythmiques bienvenues.
Il ne faudrait pas pour autant réduire ce projet au seul chanteur car à l’écoute, on entend une collaboration au travail, celle de Matthieu Eveillard avec Benoît Le Dévédec qui a enregistré et arrangé avec un soin minutieux chacun des titres comme autant de scènes d’un quotidien. Prenez « Ronde de nuit » et sa batterie comme au diapason du bruit des machines dans une usine ou encore les sons de la ville dans l’introduction de « APUTWH ».
En bon breton qu’il est, Matthieu Eveillard tisse des liens aquatiques entre New York et l’océan comme sur « Le Chantage des vents ».
Matthieu a une belle écriture aussi bien dans ses compositions lunaires et mouvantes que dans des mots qui se jouent autant des impressions que des expressions. Loin des hommages solennels, Matthieu Eveillard exprime la fascination, la frénésie, l’envie créative que libère New York, du moins celui qui habite nos imaginaires.