Après cette petite merveille sortie au début de l’été dernier qu’est « The Sea Is Never Full » avec les japonais de Vampillia, Dakota Suite revient cet hiver avec un disque bien nommé et encore magnifié par la présence du pianiste Quentin Sirjacq.
A-t-on vraiment besoin de classer ou de catégoriser la beauté pure quand on la rencontre ? A-t-on besoin d’ajouter la prudence d’un avertissement en évoquant la tristesse incommensurable qui habite nombre des chansons qui nous accompagnent ? Chris Hooson, avec Dakota Suite, diffuse depuis 1996 une musique qui n’a que faire des étiquettes. On pourrait certes parler de Slowcore, d’Emocore, de Post Rock en évoquant sa désormais longue et passionnante discographie mais on passerait sans doute à côté de l’essentiel. Ce qui compte chez lui, c’est l’extrême sincérité du propos, cette transparence paradoxalement opaque qui joue avec nos frissons. Chris Hooson n’a sans doute que faire des étiquettes tant on sent d’abord chez lui la volonté de provoquer, de créer des rencontres. Des rencontres avec d’autres musiciens mais aussi la rencontre entre lui et nous, nous et lui.
On ne s’est toujours pas remis de « The Way I Am Sick » sorti en 2001 où l’anglais rendait grâce à toute une école contemporaine qui l’a influencé. Citons pêle-mêle Arvo Pärt, Henryk Gorecki, John Luther Adams et quelques autres. On pourrait aussi parler de « Vallisa », fruit de la collaboration avec le violoncelliste David Darling et déjà Quentin Sirjacq pour une musique au bord de l’épure, de cette épure que l’on va chercher dans les disques du label ECM. Pour comprendre tout l’attachement que l’on peut ressentir pour la personne qui se cache derrière Dakota Suite, je ne peux que vous conseiller le visionnage du DVD joint à « Waiting For The Dawn To Crawl Through And Take Away Your Life ». Vous y croiserez une humanité et une humilité rare, celle que l’on retrouve dans tous les disques du monsieur.
On se rappelle des disques de Quentin Sirjacq entre piano minimal et envie d’aventures hors des cadres comme le très beau « La Chambre Claire » sortie chez l’excellente maison de disques Brocoli. Ils reviennent ensemble avec « Wintersong » pour quelque chose qui ressemble un petit peu à un best of mais ici l’exercice ne se résumera pas à l’addition plus ou moins savante des titres les plus pertinents du projet de Chris Hooson. On n’en attendait pas moins de lui qui retravaille son répertoire sur scène pour en faire une matière mouvante prompte à être détournée.
Ici, il est bien question de matière vivante que l’on vient malaxer avec cette impression qui ne nous quitte pas tout au long des 11 titres qui constituent « Wintersong » qu’en se colletant avec ses titres les plus anciens, Chris Hooson y ajoute cette once de maturité que lui a apporté les expériences d’une vie qu’il endure. Du vibrant « Be my Love » en ouverture ou encore « Close enough to tears », on a bien conscience d’assister à la création d’un instant dans ce que cela a de plus direct. On croit presqu’entendre le souffle du vent dans la pièce, un peu à l’image des murmures de Glenn Gould dans les « Variations Goldberg ». On touche à quelque chose de dénudé et pourtant habité tel ce « All That I Can Hold Near » à des années-lumière de sa version originale qui versait plus dans une bossa nova contemplative. De toutes ces collaborations avec Quentin Sirjacq, c’est peut-être paradoxalement celle où le pianiste apporte le plus de son propre univers. Paradoxal quand on sait que c’est à partir de la discographie de Dakota Suite que « Wintersong » s’échafaude. Pourtant, il est évident à l’écoute du disque que Quentin Sirjacq transporte la musique de son camarade de création vers un territoire autre, quelque chose que l’on se refusera à normer ou à placer sur un atlas musical.
On pensera plus tôt à la vie éphémère d’un flocon de neige, à la durée de la chute d’une goutte de pluie contre une fenêtre. Ne dit-on pas qu’il faut compter jusqu’à 5 pour l’espérance de vie d’une feuille morte ? Que l’âme pèse 21 petits grammes ? Qu’il y a une vie derrière le froid, derrière l’arc en ciel. La seule affirmation que l’on dégagera avec assurance de notre écoute de « Wintersong » c’est qu’assurément Chris Hooson en compagnie de Quentin Sirjacq signent un immense disque consolateur et nécessaire. Des chansons faites de promesses qu’il nous faudra tenir.