Apôtres du feedback, chasseurs de drones, thuriféraires de Dame Radigue, ce disque est pour vous. Hervé Boghossian est un iconoclaste, un pourfendeur de chapelles, un hors-la-loi qui a choisi de dévaliser les chemins de traverses entre punk rock et musique savante. Il n’a jamais su choisir, et c’est tant mieux, entre Jim O’Rourke et Eliane Radigue, entre Morton Feldman et la musique noise, entre John Fahey et Johnny Cash.
Après notamment un disque fabuleux de coloriste hors pair, « Mouvements« chez les teutons de Raster Noton, Hervé Boghossian, boss du label List, s’est remis progressivement à la guitare folk sans passage via la moulinette à irisations du laptop qui avait transformé les sons de sa guitare en arcs en ciel, prouvant qu’il y avait une autre voie pour la guitare et le laptop que les autoroutes Fennesziennes ou les delays délayés de Taylor Deupree.
En outre, on ne saurait être trop reconnaissant à Boghossian pour ses innombrables contributions, de près ou de loin, à toute une scène improvisée, qu’elle soit parisienne, marseillaise ou plus largement française, tant ses interventions ponctuelles mais significatives vont loin. Citons quand même et, en vrac, Colleen, Gunter Müller & Steinbruchel, Tetuzi Akiyama ou encore Jozef Van Wissem. Outre le soutien de cette scène, et le retour aux racines du rock et du folk protestataires, Hervé Boghossian n’a pas pour autant délaissé les guitares électriques ressorties pour l’occasion de concerts et d’un album, « Morne Plaine« , en compagnie d’un batteur free, François Rossi pour un duo noise bien nommé, Harsh.
On pensait que le laptop était tombé en panne voire en disgrâce… Il n’en est rien. Au GMEM de Marseille, Boghossian nous a mitonné un album hommage, au nom Feldmanien comme il se doit, à la Grande Eliane Radigue, sorti chez Confront Recordings dans une boîte en métal qui n’attendait visiblement que le fer d’Hervé B.
C’est un ouvrage d’amour, et ça se sent. C’est même ce qui vient en premier à l’esprit lorsqu’on écoute ce voyage de presque 43 minutes sur les terres Radiguiennes du punk Hervé Boghossian nous laissant des larsens plein la tête. Alors oui, on pourrait parler de la technique : un simple micro interne de laptop, frotté, brossé, gratté, retourné dans tous les sens avec doigts, balais de batterie, voire, audace !, un petit harmonica, tout est bon pour produire du feedback avec ce que l’on a sous la main, le tout en live, comme on dit, bien sûr.
F.E.R. (For Eliane Radigue) from Roselyne Frick M on Vimeo.
On pourrait parler des sons et des structures : basses vrombissantes, vagues et vaguelettes, respiration Feldmanienne (on pense fort à « For Samuel Beckett« ), irisations cuivrées, sonorités acides, tintements, voire tintinnabulement par moment (hello Arvo!), grésillements, suraigus flutés, soubresauts. Tout y est bien sûr mais l’ensemble ne ressemble en aucun cas à un catalogue de savoir-faire ou de savoir sonner. Nous sommes bien dans un voyage, dans des couleurs sonores et si on regrette de ne pas avoir le don de « voir » les sons comme Messiaen, écouter Boghossian, comme écouter Radigue, nous en donne presque l’impression. Le voyage est riche comme celui, hivernal, de Schubert et on reste stupéfaits, comme connaisseurs et amateurs de Radigue, d’entendre à quel point « F.E.R.« est humble, respectueux et donc amoureux de l’œuvre, de la démarche et de l’esprit de Mme Eliane. J’imagine que Boghossian aurait adoré travailler avec Radigue voire qu’elle lui propose une pièce comme au bassiste Toeplitz et qu’il aurait fait des merveilles… Dans l’attente, il lui a donc offert pour elle, mais aussi pour nous, une bien belle œuvre, extrêmement sensible qui nous fait presque monter les larmes aux yeux. Chose suffisamment unique dans le champ de ce genre de musique pour être signalé et être appréciée à sa juste valeur.