Résistant à toutes les tentatives de classement, l’américaine Becca Stevens délivre un premier album solo où l’on ne sait jamais vraiment si l’on écoute un disque de Jazz, de Folk ou de musique inspirée du vent du monde. A noter la présence du vétéran David Crosby mais aussi de Laura Mvula.
On peut se parler franchement. Sans doute, n’avez-vous jamais entendu parler de Becca Stevens. Pourtant à la lecture du casting qui accompagne « Regina », le premier disque solo de la dame, on se doute que l’on n’a pas affaire à la première venue. Excusez du peu mais avoir sur un même album Laura Mvula et David Crosby laisse augurer que la demoiselle a sans aucune doute du potentiel et suffisamment d’arguments pour savoir être aussi bien soutenue. En cherchant un peu, on découvre qu’elle avait jusqu’à présent son propre groupe, le Becca Stevens Band. On apprend aussi qu’elle a collaboré avec Brad Mehldau, Ambrose Akimusire, Eric Harland, Vijay Iyer ou Esperanza Spalding.
On ouvre donc « Regina » avec une impatience teintée de scepticisme pour ne pas dire de prudence. Combien de projets bien vendus sur le papier qui ne soutiennent pas une première écoute et font pschitt comme une limonade éventée. Le doute a pour lui de bon qu’il stimule notre curiosité et notre regard critique. Mais on peut le dire ici, dès les premiers titres, on prend vite conscience que l’on est face à un artiste qui se met en danger, en zone d’inconfort le long de ces treize plages.
On retrouve un peu la démarche de l’aînée Joni Mitchell pour ce même goût des structures savantes venues du Jazz. En ouverture, « Venus » sublimée par Laura Mvula et sa voix en contrepoint, annonce le ton d’un « Regina » ouvert à l’évaporation des charpentes d’un style. « Lean On » revient à un format plus folk pas si lointain d’une Tori Amos apaisée et enfin sobre.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’américaine se plait à tomber de Charybde en Scylla. Une grande place est donnée à la rythmique tout au long de ce disque et donne à l’ensemble une forme de cohérence un peu étrange. On pourrait également citer My Brightest Diamond pour ces mêmes chaloupées sans joie. « Both Still Here » ou « 45 Bucks » ne prennent pas parti entre R’N’B, Folk des Appalaches et Jazz.
Becca Stevens joue également avec les codes de la production d’aujourd’hui avec des chansons aux climatiques plus que changeantes comme le cyclothymique single « Queen Mab ». Déconstruite, éparpillée, copiée, collée, voilà à quoi ressemble une chanson pour la dame. Ce qui ne l’empêche pas le classicisme comme sur « We Knew Love » qui lui permet de dévoiler toute la clarté de sa voix, à elle seule, instrument sans limite. On passera sur « Mercury » plus anecdotique et un peu intrus sur « Regina » pour se laisser porter ensuite sur la seconde partie du disque par des pistes certes moins aventureuses mais qui gagnent en sérénité ce qu’elles perdent en originalité. Prenez « Harbour Hawk » et sa lente dérive ou « Well Loved » encore avec Laura Mvula clairement du côté du Jazz.
Ce qui est commun à ces treize titres, c’est cette volonté de dépeindre la féminité à travers ses différentes facettes, comme cette « Ophelia » comme sortie d’une pièce de Tonton William ou encore sur « The Muse », ce duo avec David Crosby qui a encore de bien beaux restes et l’a prouvé l’année dernière avec le très beau « Lighthouse ».Le disque se termine comme il n’a pas commencé. Avec des structures plus acoustiques qui n’empêchent pas à l’américaine de s’affranchir des frontières. Il suffit d’écouter « As » qui commence comme un folk assez fade pour aller se nourrir en Afrique puis glisser du côté de la musique contemporaine.
Alors sans doute, n’avez-vous jamais entendu parler de Becca Stevens mais à coup sûr, vous devriez trouver dans « Regina » de quoi nourrir votre curiosité pour de longues écoutes à venir.