Le trop discret Steve Adey revient avec un troisième album où l’Anglais s’essaie avec pas mal de réussite à l’exercice de la reprise. On y entend aussi bien Bill Callahan que Nick Cave ou encore Portishead.
L’album de reprises, c’est souvent le disque de rupture de contrat pour un artiste, quelque chose qui relève du pensum paresseux la plupart du temps. On peine à se souvenir d’un grand travail sur les covers. Soit l’artiste n’ose pas, la faute à trop de respect, à un manque d’inventivité, soit il dénature l’essence même du charme premier à force de triturer. Travailler à partir d’un matériau existant est donc une lutte bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Comment dépasser la fascination que l’on peut ressentir pour redevenir un musicien, un créateur ? Une des solutions pour répondre à ce dilemme, Pascal Bouaziz et Mendelson l’ont sans doute trouvée plus tôt cette année avec « Sciences politiques », à savoir partir du texte pour y joindre ce que l’on affirme en tant qu’artiste.
Steve Adey, sur « Do Me a Kindness » tente une autre piste. Désaxer l’angle de vue, volontairement mettre à distance ce que l’on est pour mieux en garder le seul contour. En termes de reprise, l’anglais n’en est pas à son coup d’essai. Dès « All Things Real » en 2006, il reprenait « I See a Darkness » de Bonnie ‘Prince’ Billy avec une science aboutie de la voix allusive et de l’émotion dans le non-dit. « All Things Real » était un grand disque crépusculaire habité par le vibrato fragile d’Adey, une ambiance à mi-chemin entre Adrian Crowley, The Blue Nile et les injustement méconnus Hedge Schools. « The Tower of Silence », en 2012, poursuivait ce chemin.
« Do Me a Kindness » emprunte un autre sentier, celui du travail sur la voix et plus précisément l’ensemble vocal. Il se dégage de ces neuf reprises et de cette adaptation d’un écrit de Hermann Hesse un mysticisme modeste et frissonnant. Rien de surprenant donc à apprendre que le disque a été enregistré dans les conditions du direct dans une petite abbaye près d’Edimbourg. La musique de Steve Adey sent bon la rusticité et l’authenticité. Les grognons pourront trouver à ces chansons un manque d’originalité, mais assurément, ce qui emporte le morceau, c’est cette sincérité dans le propos que l’on ne peut nier.
En ouverture, il dénude le Bowie de « Heroes » pour mieux délester de tout motif pop « The Devil » de PJ Harvey. Il en fait une aube glaciale et pathétique. Du tube de stade de Morrissey, « Everyday is Like Sunday », il fait un gospel neurasthénique, pas si éloigné du « Take This Waltz » de Leonard Cohen. On pensera souvent au Nick Cave de « The Boatman’s Call » pour ce même goût pour le peu d’effet, pour la mesure dans l’expression.
Le « To Cry About » de Steve Adey a peu à voir avec celui de Mary Margaret O’Hara qui avait bien plus d’effluves issus du jazz. Celui de l’Anglais a plus à voir avec David Sylvian ou le « Song to The Siren » de Tim Buckley. Il rendait d’ailleurs déjà hommage à la Canadienne sur son premier album. On ne s’étonnera pas de retrouver « God Is in the House » de Nick Cave dans son plus simple appareil. Une version à l’os, un vieil harmonium, un piano et le chœur de six femmes constitué autour d’Helena MacGilp. On y sent une ferveur loin de toute forme de bigoterie, une complicité entre les murs de cette vieille église, la calme réverbération naturelle, la voix d’Adey, les mots de Nick Cave.
Il reprend à nouveau Bob Dylan avec ici « I Want You », sans doute le morceau le plus ouvertement pop de « Do Me a Kindness », pour poursuivre sur un inquiétant et utérin « Over », encore plus oppressant que l’original de Portishead.
Seule création originale de « Do Me A Kindness », le travail sur les mots d’Hermann Hesse à travers « How Heavy the Days » n’est finalement pas si éloigné de ce que recherche Kramies Windt dans sa musique.
On a souvent comparé Steve Adey à Low ou encore Bill Callahan pour cette tension dans la dilatation de l’espace. Il rend justice aux deux ici, tant avec « Murderer » qu’avec « River Guard ». Là où Callahan cherchait du côté du désespoir de Townes Van Zandt, Adey conjugue Hollis avec Paul Buchanan. On pense alors à cette merveille en clôture de « All Things Real », cet hommage aux eaux noires d’une rivière et la noyade de Jeff Buckley, un « Mississippi » de mauvaise augure.
Un disque de reprises est souvent considéré comme une œuvre mineure dans le parcours d’un artiste, au mieux une phase de transition, au pire un acte traduisant une vraie paresse créative. Parler de passage ici semble juste, d’hommage à des personnes qui nourrissent une curiosité et une envie de toujours aller plus loin, de faire son propre chemin bon an mal an. C’est cette démarche toute simple que Steve Adey choisit, assumer ce que l’on aime pour assumer ce que l’on est.