Dix-sept ans de carrière. À vrai dire, voici le premier frisson. Cette aventure au long cours, compagne des humeurs depuis le début du siècle, peu de formations peuvent y prétendre. D’autant plus que Liars n’a eu de cesse de muer, endossant tant de carapaces que public et critique y ont trouvé autant matière à fascination qu’à rejet.
En outre, dans cet incessant jeu de pistes, Liars s’est affranchi de la géographie, établissant le nomadisme (New York, Berlin, Los Angeles) comme vertu cardinale sans en détenir le monopole puisque nombre de musiciens se jouent dorénavant des frontières ; être d’ici ou de là-bas, franchement, quelle importance ?
TFCF, huitième album depuis l’augural They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top, rebat encore un peu plus les cartes, le groupe se résumant désormais à Angus Andrew, frontman historique, revenu au pays achever ce cadavre exquis. Il serait tenter voire facile de déceler une « influence » dans cette décision, mais, à la réflexion, cette piste ne tient nullement la distance. TFCF n’a strictement rien d’australien. Même reclus dans l’outback, Angus Andrew préfère encore les vertus du field recording.
Séparé d’Aaron Hemphill, Andrew n’a finalement « osé » qu’une chose longtemps proscrite : la guitare acoustique. Là encore, point de madrigal, de folk downunder ou de chansons pop enregistrées en 4-pistes. Theme From Crying Foutain (le mystère derrière l’acronyme TFCF) ne sonne en rien comme un album solo prenant acte d’une rupture consommée, plutôt comme une hybridation basée sur des fichiers échangés, passés au filtre d’un commun accord, avant de connaître d’autres parures et une poignée de paroles.
Ainsi, depuis son île, au large de Sydney, Angus Andrew livre à la fois un récit d’isolement (réel ou fantasmé, difficile de trancher) et un carnet de bord empli de nostalgie esquissant en réalité la nouvelle incarnation d’un projet artistique sublimant les coups du sort.
Loin du geste d’un leader autoritaire ayant écarté chacun des ses camarades d’infortune, TFCF revêt tous les atours de Liars, dissipant à l’écoute de ses onze titres la moindre velléité jusqu’au-boutiste. On songe à une espèce de palimpseste de l’œuvre accomplie — ce qui ne signifie en rien que cette livraison soit le fruit de la facilité ou de la paresse. Quitte à verser dans le cliché, l’humeur qui se dégage, écoute après écoute, fait songer à une mise en abyme de l’héritage, à l’image de Emblems of Another Story, évident résumé et clef de l’édifice.
Étrange affaire que cette odyssée dont on ne sait deviner l’épilogue car, oui, n’en déplaise à leurs contempteurs, TFCF est tout sauf un faire-part de décès, plutôt l’acte d’une renaissance.