Le meilleur groupe de vétérans du monde est hollandais et sans doute certains d’entre vous ne le savent même pas. En activité depuis 1974, ils sont encore verts. Les Nits sortent un album intriguant et aventureux, long à décoder, l’étrangement nommé « Angst ».
Voilà 42 ans que les Nits sortent des albums tous plus superbes les uns que les autres, alliant l’expérimentation à la clarté pop. Si l’on devait choisir dans leur discographie des albums à mettre en avant, on aurait l’embarras du choix tant l’inspiration de ceux-là semble féconde. Au moment où j’écris ces mots (mon humeur pourrait changer demain), je désignerais peut-être leur « Adieu Sweet Bahnhof » de 1984 ou l’incontournable « Ting » de 1992 ou encore le plus Pop « Hat » ou « Alankomaat ». Ce n’est pas Leonard Cohen qui vous aurait contredit, lui qui souhaitait engager en backing band l’équipe de Henk Hofstede.
Les Nits n’ont jamais voulu distinguer dans leur démarche une envie d’aller chercher dans les marges sans pour autant rendre hermétique leurs propos. « Angst » en est la parfaite démonstration avec cette volonté de raconter une narration diluée, une histoire sur fond d’images de la seconde guerre mondiale. Mais on retrouve chez eux ce même plaisir à triturer et malaxer à l’image d’un Andy Partridge. Un titre des Nits ne se résume pas à une idée, il est un tout et multiple sans pour autant être baroque. « Angst » est de ces disques à l’étrangeté assumée. Du tribal « Yellow Socks & Angst » au tout en dérive « Radio Orange », les Hollandais s’amusent à nous dérouter tout en sachant parfaitement où ils veulent nous mener. C’est un disque en dehors de toute zone de confort, pas si loin dans ses structures « alambiquées » de « Giant Normal Dwarf ».
Il y a bien plus d’audace dans la musique de ces soixantenaires que dans la posture de jeunes freluquets de 20 ans. Chez les Nits, pas de syndrome Rolling Stones genre « Vieux croulants appuyés sur leurs acquis ». Non, chez les Nits, c’est un dialogue permanent avec la création, à l’instar de ce « Lits-jumeaux » à interpréter. Il osent quelques clins d’œil à leur discographie passée comme ce « Two Sisters » en écho à d’autres sœurs sur « Alankomaat ». Inventif de bout en bout, « Angst » surprend et intrigue, passionne à tous les coups. On envie cette science du rythme et de la mélopée sur « Pockets of Rain » qui renverra Beirut à ses chères études.
Car tout au long de ce disque, on sent bien que la notion de rythme est au centre des choses comme si chacun des titres se construisait à partir de la batterie et que du tempo découlait toute l’atmosphère. Écoutez « Along A German River » et sa menace liquide ou encore « Cow With Spleen » (quel titre !) pour vous en rendre compte. Les Nits ne se départissent jamais d’une part même parfois incongrue d’humour. La preuve encore d’une audace juvénile. En clôture du disque, « Breitner on a Kreidler » sonne comme une lente et presque désincarnée mélodie Jazzy toute droite sortie d’un film de Lynch. « Zündapp nach Oberheim », lui pourrait sembler plus classique mais il faudra prêter attention aux arrière-plans, ces paysages comme des synthétiseurs.
Rares sont les artistes qui après plus de 40 ans d’activité conservent une pertinence artistique et une audace du niveau des Nits. On cite souvent « Ting » comme chef d’œuvre des Bataves mais il faudra désormais ajouter « Angst » à leur panthéon. Sans doute que ce disque ne permettra pas au groupe de se faire plus connaître, mais assurément pour ceux qui auraient eu quelques doutes sur la pertinence de leurs compositions, il sera la plus belle démonstration d’un talent intact et d’une expression libre.