Le premier quarante-cinq-tours de Half Japanese, « Calling All Girls », paru en 1977 sur le label 50 Skidillion Watts, faisait office de cri primal contenant pas moins de neuf courts morceaux (sic) d’obédience punk épileptique et constituant un premier jet sous forme de défouloir salvateur. Le tout était doté d’un degré de bizarrerie qui plaçait déjà d’emblée les frères Fair, membres fondateurs du groupe au mitan des seventies, dans une catégorie à part. Certes, quatre décennies plus tard, le rythme a relativement ralenti sa course par endroits mais les angles sont loin d’avoir été complètement arrondis malgré le poids des ans, ce qui permet au clan à géométrie variable de conserver son statut d’heureuse anomalie, et ce autant dans le circuit de la musique enregistrée que dans l’exercice du live.
Aujourd’hui, leur style garde contre vents et marées son caractère brut de décoffrage. Néanmoins, aussi direct soit-il encore à l’heure actuelle dans sa démarche artistique, on sait toujours aussi peu à l’avance où le combo farfelu à l’univers aussi jouissif que bancal nous emmènera en dépit de la récurrence de thématiques devenues familières, dont celles empruntées aux domaines assez délimités de la science-fiction et des monstres (« Spaceship to Mars », « Zombie Island Massacre »), et les relations amoureuses. Quoi qu’il en soit, ce paradoxe, opposant la notion de terrain stable et balisé à celui de parcours boueux, sinueux et non fléché, fait partie intégrante de ce qui a toujours fait le sel et le charme du combo de zinzins depuis ses débuts, c’est-à-dire un équilibre précaire qui rend passionnant le trajet à effectuer en sa compagnie malgré des manœuvres chaotiques et périlleuses.
Ainsi, un an après le frondeur « Hear The Lions Roar », les fêlés du Michigan livrent treize morceaux portés par la même énergie communicative mais avec, semble-t-il, encore davantage de nuances : une fanfare discrète ici (« Bring On The Night » et son intro de guitare funky à la « Space Oddity »), un délicieux orgue millésimé là (« Amazing »). Jad Fair, quant à lui, interprète toujours magistralement l’ensemble à l’aide de cet improbable timbre de lutin timbré, enfilant tour à tour avec une aisance naturelle les costumes respectifs d’imprécateur, de maître ès spoken word et de conteur fantas(ti)que, accompagné des guitares, percussions et autres sonorités qui se répondent parfaitement entre elles au beau milieu des rondeurs de la basse (notamment sur « A Word To The Wise »).
Avec ces vieux briscards pas barbants pour un sou, on a la garantie de ne jamais sombrer dans un dad rock complaisant (il suffit d’écouter le survolté « Demons Of Doom » pour s’en convaincre) et l’on se surprend même à parier qu’on pourra toujours compter sur des vétérans de leur trempe tant qu’ils seront en activité, à l’instar de Pere Ubu et The Feelies. Moralité : les jeunes musiciens peuvent paraître bien plus croulants que les seniors.