LOVE – Le Café de la Danse, 15 juin 2002.
Il y a quelques semaines, à la sortie du concert parisien de Belle and Sebastian, repensant à la version légère et aérienne de "Alone again or" que nous avaient jouée les boy scouts écossais, je me disais : "pourvu qu’Arthur Lee fasse aussi bien le 15 juin". C’est vrai, quoi, c’est bien joli de réveiller les légendes, mais le mot come-back rime souvent impitoyablement avec déception, faux événement et bac à soldes. Arthur lui même doit en savoir quelque chose, qui a déjà consumé quelques "extra lives" à cet exercice, avec plus ou moins de bonheur (un confrère, autorité en la matière, m’assurera à la fin du concert, scandalisé que je puisse penser le contraire, que sa prestation en compagnie des frères Head à l’Européen en 1992 était d’une intensité rare). Mais bon, bref, pour moi, c’est la première fois. Comme sans doute d’ailleurs pour la plupart des petits jeunots, très nombreux, qui patientent en cette fin de samedi après-midi devant le Café de la Danse, passage Louis Philippe. En effet, à part certains vieux briscards qu’on retrouve souvent aux concerts de ce type (au bar), le public paraît étonnamment jeune, assez éloigné des habituels quadras bien avancés qu’on côtoie annuellement aux concerts des vieilles gloire du genre (à croire qu’ils sont tous partis voir Kylie à Bercy).
Après s’être faufilé dans le Café de la Danse, le couloir qui mène à la salle est l’occasion d’admirer le merchandising disponible pour l’occasion (je n’ai pas craqué pour un très seyant "Love String" à 13 euros…), ensuite il fait très chaud et on attend, et inversement.
Quand débarquent les quatre musiciens composant Baby Lemonade, le groupe qui accompagne Arthur Lee depuis quelques temps, certains s’interrogent à haute voix sur l’identité du groupe de première partie. D’autres ne disent rien et ont peur. Il est vrai qu’au premier coup d’œil, Mick Randle, le guitariste solo, pourrait très bien faire partie des Living Colour. Mais pas trop le temps de se poser de vaines questions, les clameurs des fans montent, Arthur Lee arrive sur scène, et c’est "My Little Red Book". À la fois débonnaire et frénétique, ce premier titre rassure, Arthur a toujours la forme, même si on le sent encore sur la réserve. L’inconnue de la soirée, c’est bien sûr la façon dont le groupe va se tirer de la retranscription sur scène des merveilles de "Forever Changes" que tout le monde connaît par coeur… avec la triplette "Alone Again Or" (gros frissons), "Live and Let Live" et "You Set The Scene" (rahhh), assénée quasiment d’entrée, tous les doutes se dissipent. Si la section de cordes et de cuivres de "Forever Changes" fait bien entendu défaut (par exemple sur "Maybe the People Would Be The Times Or Between Clarke or Hilldale"), la guitare de Mick Randle s’en tire plutôt bien, en fait un peu trop parfois sans pour cela s’éloigner de l’esprit des compositions originelles (que les oreilles sensibles réécoutent "Forever Changes", les solos guitar hero étaient déjà là), et l’ensemble du groupe est la plupart du temps sobre et terriblement efficace. Pour une fois qu’on peut apprécier d’excellents musiciens sans leur reprocher d’en faire trop niveau technique… La voix du quinquagénaire Arthur, quant à elle, tonne comme aux plus beaux jours et arrive à agripper sans trop chevroter les plus hautes branches de titres exigeants comme "Andmoreagain". Roublard et très professionnel, Monsieur Lee a manifestement envie d’en découdre. Sur certains titres, fugitivement, on se sent même transporté de la sage salle parisienne du Café de la Danse vers un club de LA enfumé et enfiévré circa 66. Il va falloir que je prenne l’habitude de me pincer pendant les concerts. Moi qui étais venu en m’attendant au pire…
Alors tant pis si l’on était encore à l’état de poussière cosmique à l’époque de la sortie de "Da Capo", tant pis si on prend le risque de sombrer dans la nostalgie réac d’un pseudo âge d’or révolu, le plaisir de "retrouver" un Arthur Lee, revenu de tout et loin d’avoir un pied dans la tombe, l’incroyable privilège d’entendre ces titres d’exception interprétés sans pathétique aucun par leur créateur même, tout cela valait largement le déplacement. Les mythes qui peuvent se payer le luxe de se confronter à nouveau à la réalité sans se briser lamentablement contre elle ne sont pas légion, après tout.
Guillaume
PS : le promoteur de la tournée, en guise de carotte, évoquait la possibilité, en cas de succès de ce premier retour post-carcéral , d’organiser pour l’automne un "Forever Changes Tour" qui donnerait lieu à l’interprétation des titres de l’album éponyme dans leurs orchestrations originales, avec les instrumentistes adéquats, donc (les Suédois ont déjà eu cette chance le mois dernier). Par ailleurs, Arthur Lee aurait très très envie de nous jouer ses nouveaux titres, composés lors de son séjour en prison et dont il est très très très fier. Back for good?