KOOL KEITH – Glaz’Art, Paris, 19/7/07
Le Glaz’Art est un étrange endroit. Situé à la Villette, cette sorte d’entrepôt coloré tranche avec l’architecture dominante du quartier. Qui plus est, lui jouxtait ce soir-là une sorte de joyeuse kermesse avec danses, chants, saucisses grillées et chamboule-tout. La chaude soirée estivale qui sévissait se prêtait on ne peut mieux à ce genre de festivités. Cependant, pour les fans de hip hop venus en nombre, c’était ailleurs que les choses sérieuses devaient prendre place. C’était à l’intérieur, sur la gauche, dans cette salle toute en longueur terminée par un salon à la décoration originale et psychédélique. Une décoration totalement en phase avec le style fantasque du rappeur attendu ce soir-là, note mon voisin, à juste titre.
Mais avant que l’ancien Ultramagnetic MC et Dr. Octagon n’apparaisse sur scène, des DJ’s entreprennent un nécessaire chauffage de salle. Le premier à s’y coller est Junkaz Lou, et il s’acquitte plutôt bien de sa tâche, avec ses virées électroniques et bouncy. Pour l’heure, la priorité du public est d’étancher sa soif et de faire la queue au bar. Mais déjà, de nombreuses personnes se pressent devant la scène pour écouter plus attentivement le Français. Suit l’un des accompagnateurs les plus fidèles de Kool Keith, Kut Masta Kurt, qui apparaît avec son habituelle fausse barbe et sa casquette à l’envers. Le set a moins de pêche que le précédent, mais il est plus ludique, plus varié. Le bonhomme jongle avec ses disques, les téléscope et écourte ses morceaux, saisissant fréquemment le micro pour commenter sa prestation.
Entretemps, la salle s’est remplie, et il apparaît que Kool Keith sait attirer un public large. Ce soir, se côtoient au Glaz’art des Blancs, des Noirs, des francophones, des anglophones, des b-boys, des VIP du rap et, chose relativement rare dans ce genre de concert, beaucoup de filles. Ironique (ou logique, après tout), quand on connaît le goût de la vedette du jour pour les propos salaces. Et cette assemblée bigarrée réservera un accueil de choix au MC. Ce soir, dans la chaleur estivale, le public parisien fera mentir sa réputation d’apathie et d’indifférence. Ça criera, ça sifflera, ça applaudira, ça lèvera les bras, ça bougera, ça dansera même, certains frénétiquement. Ça sera autre chose que le troupeau docile et dodelinant auquel ressemblent bien souvent les publics rap.
Tout commence quand Kut Masta Kurt ôte sa barbe, remet sa casquette dans le bon sens et reprend le rôle du DJ anonyme, s’effaçant devant un rappeur qui, dans un premier temps, n’est pas Kool Keith, mais Silver Synth des Analog Brothers. La star du soir apparaît peu de temps après, de façon théâtrale, chapeau sur la tête (le même que sur plusieurs de ses derniers albums), cape noire de vampire autour du cou et chaîne en or ou assimilé. Et c’est parti pour près d’une heure et demie de show au cours duquel Kool Keith interprétera un échantillon représentatif de toute sa carrière. Le public aura droit à tout. A de l’Ultramagnetic MC’s, à du Dr. Octagon et à des extraits de l’ensemble de sa prolifique carrière solo, de »Sex Style » à »Matthew » en passant par »Black Elvis ».
Le concert souffre d’un gros défaut toutefois : à quarante ans, notre figure culte du rap se ménage. Son show est relativement statique, il est peu démonstratif. Il laisse le soin à son copain de bondir dans tous les sens et de chauffer la salle avec tous les vieux trucs hip hop (les bras en l’air, tout ça). Sur scène, ce n’est pas le délire, mais comme dit un peu plus tôt, le public, lui, répond présent, il assure l’ambiance. Electrisé par la chaleur, libéré par l’alcool et par le parfum des vacances, son enthousiasme pousse les artistes à lui répondre et à accélérer le rythme.
Et de fait, le show va monter en puissance. Une version de "Blue Flowers" plus pêchue et moins ténébreuse que l’originale remporte un franc succès, de même que d’autres titres issus du premier Dr. Octagon, premiers à l’applaudimètre (et au sifflomètre). Et puis Kool Keith se fend de quelques exercices ludiques. A un moment, il fait une pause pour distribuer quelques goodies, invite des "ladies" à le rejoindre sur scène et leur offre sous-vêtements et magazines coquins. Vers la fin, il livrera un medley de quelques-uns de ses titres les plus tubesques, puis il se lancera dans un freestyle débridé.
En fin de course, le contrat est rempli. Le rappeur culte a livré tout ce qui était attendu de lui. Même s’il manquait parfois de pêche et de présence, le public ne lui en a jamais tenu rigueur et semble avoir passé un excellent moment.
Sylvain Bertot