SOSO – Glaz’Art, Paris, 5/12/07
On serait fou d’aller à un concert de soso pour prendre la claque de sa vie. Avec un hip hop aussi minimal et intimiste que celui qu’il a su inventer, il est impossible de déclencher l’hystérie et d’entraîner les foules, même en se transfigurant. Qui plus est, les retours entendus ici et là sur les concerts du Canadien n’ont jamais été d’un enthousiasme débordant. Quant aux prestations visibles sur le DVD "Bachelor’s Drinking Club", elles sont d’un genre plutôt terne et statique. Et avec le magma de guitares indistinctes dont est fait son tout dernier album, "Tinfoil on the Windows", les accroches et l’entrain n’allaient sûrement pas être au rendez-vous. Alors, pourquoi donc se rendre à un concert de soso ? Hein, pourquoi ? Hé bien pour le rencontrer, pour se dire que j’ai vu l’auteur des impeccables "Birthday Songs" et "Tenth Street & Clarence". Et peut-être, si d’aventure quelqu’un vous accompagne, pour lui ouvrir l’esprit, pour lui montrer sur quels terrains inattendus s’aventure quelquefois le hip hop.
Pourtant, compte tenu de toutes les préventions exprimées ci-dessus, et qui se sont toutes révélées vraies, il y avait d’autres raisons d’assister à ce concert. Soso, c’est sans surprise et c’est acquis, n’a pas de charisme. Avec sa voix peu affirmée, ses lunettes et sa barbe bien taillée, son pull noir et sobre, il a tout du garçon trop propre sur lui. Toutefois, il y a quelque chose d’impressionnant dans sa façon d’interpréter ses chansons. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le Canadien est mobile. Alors que la foule, elle, écoute sans bouger cette musique qui peine à couvrir les quelques bavardages de la salle, le rappeur se contorsionne, il tire sur ses cheveux, il se tord les doigts, pendant que son visage empourpré oscille dans tous les sens, les yeux mi-clos, sans jamais un regard pour le public. Indiscutablement, il y a de l’indécence et de l’exhibition dans ce grand numéro d’autiste.
Il faut dire que le rappeur avait enfilé bière sur bière avant de commencer son show, pendant que le DJ irlandais Flip commençait doucement à animer le bar avec ses morceaux des Roots et de Pharcyde. L’alcool, par ailleurs thème récurrent de ses chansons, a certainement dû l’aider à se livrer ainsi. Mais quand même. Il fallait saisir les regards surpris et les mines interloqués de quelques néophytes, quand par exemple soso se lançait dans l’un de ses déchirements de voix, pour réaliser à nouveau à quel point le personnage est singulier. Au moins, certains ce soir auront découvert quelque chose de neuf. Qui plus est, le rappeur a su très bien gérer son show en écourtant sensiblement ses chansons les plus longues et en commençant par ses titres les plus rap, les plus présentables en live, avant d’interpréter l’essentiel de "Tinfoil on the Windows".
De plus, ceux qui ce soir auraient voulu assister a un vrai concert de hip hop, ceux par exemple qui auraient préféré écouter du jazz rap new-yorkais des 90’s, ceux-là même auront été servis. Car à la fin du show du Canadien, ô surprise, apparaissait un special guest inattendu. La veille de son concert au Batofar, Jeru the Damaja apparaissait ici. Il s’acoquinait avec DJ Flip, il s’emparait du micro et il se lançait dans "Me and the Popes", avant d’improviser un autre titre, devant un public soudainement beaucoup plus animé que devant le rappeur précédent. Depuis plusieurs mois, le Twenty Sound Bar fait preuve de salubrité publique en conviant dans ses murs des artistes rap obscurs mais précieux qui, tel soso, seraient bien incapables de remplir une grande salle. Si maintenant, en plus, il nous fait le plaisir d’inviter en guest star des légendes du hip hop, il va décidément falloir y élire domicile.
Sylvain Bertot