VINCENT COURTOIS ET ZE JAM AFANE – Concert Au Studio De L’Ermitage, Paris, Le 2 Juin
Nous étions peu nombreux hier soir à assister au concert de l’Homme Avion au studio de l’Ermitage sur les hauteurs de Ménilmontant. Dommage parce que ce concert cross-over était excellent. Imaginez le violoncelle de Vincent Courtois (une référence du jazz hexagonal) s’acoquiner à la poésie foisonnante du slammeur d’origine camerounaise André Ze Jam Afane pour la transporter, que dis-je, la magnifier…
Le groupe arrive sur scène au compte-goutte : le saxophoniste Adrien Amey d’abord, puis Francis le Bras au Fender Rhodes, Guillaume Dommartin à la batterie, Olivier Sens à la contrebasse et le guitariste Maxime Delpierre (Limousine, Collectif Slang). Une fois tout le monde en place, Ze Jam Afane fait son apparition. Look rasta, barbe noire lui mangeant les joues, T-shirt avec l’inscription "Conseil National de la Révolution". Son regard s’allume. C’est celui d’un conteur africain qui d’une voix douce et malicieuse explique à son auditoire fasciné la grande mécanique des choses. Pendant ce temps-là, le groupe joue le thème principal de la soirée qui reviendra plusieurs fois comme un leitmotiv. Puis changement de braquet. Du merveilleux, on passe sans ménagement à la violence du monde réel. Ze Jam Afane n’a pas son pareil pour peindre des chroniques mordantes dans une langue riche et avec une expressivité de tragédien. Il nous emmène au paradis capitaliste de la terre où Dieu est un consommateur comme Adam et Eve et où le Diable est un nègre. Plus tard, il apostrophe (Marie-)France en lui posant cette terrible question : que vas-tu faire de tous tes noirs ? On nage parfois dans l’absurdité quand un arbre qui a servi de poteau d’exécution ferme les yeux sur ce qu’il a vu préférant invoquer ses propres problèmes (la déforestation). La France en prend pour son grade, l’Afrique aussi. La dénonciation marche dans les deux sens, à mots couverts, sans aucune stigmatisation. L’orage gronde, les yeux du slammeur roulent comme deux billes prêtes à sortir de leur orbite. Au plus fort de chaque morceau, il se convulsionne comme un possédé. On rit en réaction à la justesse des propos, on reste bouche bée devant ses simagrées de sorcier africain. Tout le groupe est à son service, attentif, envoûté lui aussi. Il n’est pas question d’embardées de soliste, ni d’ego.
Vincent Courtois, en chef d’orchestre, la joue profil bas. La musique parle d’elle-même. Au bout d’une heure, c’est déjà fini. En guise de rappel, l’orchestre s’amuse avec une reprise de Gainsbourg "Dent de lait, dent de loup". Pour l’occasion Courtois troque son violoncelle contre un banjo. Ces deux protagonistes ont réussi un coup de maître : le mariage habile du jazz avec l’ironie des Lettres Persanes et la langue d’Aimé Césaire. Un seul mot : bravo.
Luc Taramini
Photos d’Alain Julien