Le public, tranquillement assis par terre, était nombreux à la Maroquinerie en ce début de soirée organisée dans le cadre des Nuits de l’Alligator, « un festival autour du blues et pas sur le blues » (dixit Jean-Sébastien Nicolet, co-programmateur du festival avec Stéphane Deschamps des Inrocks et de Jean-Christophe Aplincourt du « 106 »).
L’artiste ouvrant la soirée, Youri Blow, viendra quelque peu contredire cet adage : voix ultra rocailleuse, guitare « Recording King » en métal, pulsation binaire tapée du pied, accoutrement « classe » en costard… Tous les clichés du bluesman sont là. Le chanteur aux faux airs de Tim Buckley (de loin), interrompt ses chansons aux structures blues très basiques de « yeahhhhhhhhhhhh ! » un peu ridicules, d’autant que le monsieur s’exprime par ailleurs dans la langue de Molière. Et pour cause, il est français ! Le cachet d’authenticité s’en trouve quelque peu malmené.
Avis aux amateurs donc… Quoi qu’il en soit, la démarche du Youri en question a quelque peu touché le chroniqueur indie pop que je suis, habituellement tourné vers des artistes nettement plus « branchouilles » dans l’attitude. Qui d’autre que Mr Blow (quel nom !) oserait raconter fièrement entre deux morceaux qu’il est parti bourlinguer au Pérou, qu’il y a rencontré un chaman qui lui a inspiré une chanson et exposer fièrement sur scène le masque inca qu’il conserve de cette rencontre ? Qui oserait revenir pour un rappel avec un large sourire alors que pas une personne dans le public ne l’a demandé… ?
Après l’entrée en matière quelque peu déstabilisante du bluesman mystique français, c’est Caitlin Rose qui fait son apparition sur la chouette scène de la Maroquinerie, accompagnée de ses deux musiciens. Boots de rigueur pour chacun des membres du trio, bière à la main, jacket rouge flashy pour le très professionnel guitariste, chemise sombre estampillée country music pour le jeunot – à la coiffure très Byrds par ailleurs – qui manipule habilement la pedal steel et, enfin, vieux blouson de cuir noir pour la demoiselle Rose.
Autant les clichés de la première partie s’avéraient un peu ridicules, autant avec Caitlin, ça fonctionne diablement bien. Le groupe vient de Nashville Tennessee, et ça se sent : le timbre de voix délicieux de la jeune fille, les discrètes harmonies du gars à la pedal steel, le tout sur une country folk bien rodée. On imagine un instant la Maroquinerie transformée en vieux rade du fin fond de la plus obscure cambrousse du vieux sud états-unien.
Au-delà de la qualité évidente des compositions somme toute très classiques, l’humeur très bon enfant dans laquelle se déroule le concert fait plaisir à voir. Caitlin Rose a de l’humour : elle affirme n’avoir vu un public aussi absorbé par ses chansons qu’à Nashville avant d’entamer une chansonnette légère écrite par son « ex-boyfriend », puis une autre (issue de son dernier album « Own Side Now« ) intitulée « New York », précisant bien qu’elle déteste cette ville mais qu’elle aime Paris, « the city of love », depuis tout récemment…
Sitôt le concert de la jeune fille terminé, les spectateurs, jusque-là restés assis, se lèvent spontanément et commencent à affluer au plus près de la scène. C’est simplement accompagnée d’une violoniste et d’un guitariste que Laura Veirs débarque sur scène. Nul besoin des vocalises de Jim James de My Morning Jacket (présent sur l’excellent dernier album en date de l’Américaine) pour que « Carole Kaye », le morceau d’ouverture, plonge directement le public dans un concert riche en émotions.
Fidèle à son style vestimentaire si original dans sa sobriété, la songwriter de Seattle fait toujours figure d’élève modèle : robe à fleurs, bandeau à pois dans une chevelure soigneusement séparée en deux petites tresses. En gros, même look qu’au concert du Café de la Danse l’an dernier si ce n’est que le gros ventre a disparu…
La chanteuse ne tardera d’ailleurs pas à raconter les petites anecdotes de la tournée européenne qui se termine et à laquelle son petit garçon a participé backstage. Autre moment charmant, l’improvisation d’un medley autour d’une suite d’accords que l’on retrouve dans bon nombre de chansons à succès. Le petit exercice, logiquement baptisé « The Song of Songs », sera l’occasion pour le guitariste de rendre hommage à… Phil Collins, Fleetwood Mac ou Survivor (si si, vous connaissez ! « The Eye of the Tiger », la chanson du film « Rocky »…) devant un public hilare.
Blagues à part, musicalement, comme toujours, set impeccable faisant la part belle à l’album « July Flame » avec quelques petites incursions vers les albums précédents, notamment vers son chef-d’oeuvre « Carbon Glacier » (superbes « Riptide » et « Ether Sings » aux finals très planants grâce au son magique de la violoniste et au jeu subtil du guitariste).
Mine de rien, le public présent dans la salle en a conscience, la modeste Laura s’avère être l’une des meilleures songwriters actuelles, proposant un folk à la fois terrestre et lunaire, fortement boisé mais toujours éminemment pop dans l’accroche mélodique. Riche d’un répertoire s’étalant sur une demi-dizaine d’albums, l’Américaine prend cependant un plaisir communicatif à parsemer sa set list de traditional songs, toujours arrangées avec cette petite patte personnelle qui fait la différence… Une liberté artistique qui ne fait que renforcer toute l’admiration que l’on a pour cette géologue de formation qui, fort heureusement, a délaissé ses cailloux pour notre plus grand plaisir de mélomanes.
Set list Laura Veirs
Carol Kaye
Sun Is King
Riptide
When you Give your Heart
Where Are you Driving?
All the Pretty Little Horses (Traditional)
« The Song of Songs »
The Old Cow Died (Traditional)
Jailhouse Fire
Life Is Good Blues
Spelunking
Wide-eyed, Legless
I Can See your Tracks
Make Something Good
July Flame
Freight Train (Traditional)
Ether Sings
Jamaica Farewell (Traditional)
Through December