La dernière fois que nous avons vu Damien Jurado, c’était en petit comité, dans un appartement éclairé par des Jack O’Lanterns, un soir d’Halloween. Damien venait de recevoir les magnifiques arrangements de « Saint Bartlett » réalisés par Richard Swift et avait effectué dans la foulée un set intime et chaleureux, tout à son image, sur fond de miaulements de chats. Nous étions donc impatients d’entendre les dernières chansons de Jurado réarrangées pour la tournée en solo dans l’atmosphère feutrée du Södra Teatern.
En première partie, I am Kingfisher, Amfortas local, est très heureux d’ouvrir pour son idole. S’il sait effectivement remplir admirablement l’espace scénique avec sa guitare folk et sa belle voix de tête, il ne nous émeut guère. Nous préférons de loin l’ascétisme mais c’est une question de goût.
Damien, chemise à carreaux/jeans, éternel adolescent grungy de l’état de Washington, ne fait pas de chichis. Assis sur une chaise, il nous embarque pour une belle bal(l)ade avec ses « Cloudy Shoes », nous fait admirer quelques paysages du dernier album (« Harbor view », « Beacon Hill »), salue quelques amis (« Rachel & Cali ») puis fait quelques belles haltes obligées (« Arkansas », « Kansas City »), en versions dénudées, l’obligeant à assurer lui-même les chœurs voire un solo de guitare psychédélique a cappella.
Damien est très en forme, contrairement à sa guitare, abîmée par les trajets en avion, ce qui l’empêchera de jouer un titre, lâchant moult « fuck » appuyés. L’ingénieur du son fait un travail superbe : la guitare est claire et la voix distincte et puissante, soulignée par quelques effets de réverb. Damien en jouera, pour théâtraliser ses interprétations, et nous donnera un set tout en tension et émotion, bien loin des derniers récitals de Bonnie Prince Billy.
Tension, émotion, donc et… humour ! Damien raconte le plaisir qu’il a à tourner avec son épouse et à en profiter pour se balader dans les villes traversées et notamment dans Stockholm. Il apprécie particulièrement les habitants de cette ville qu’il trouve « all cute » : « not gorgeous in a pornographic way- that’s the Norwegians- but, you know, real gorgeous ».
Il termine son concert par une chanson-fleuve, hantée, tendue, lançant des « so long » déchirants et terrifiants, chantant hors micro, se roulant quasi par terre et terminant debout, guitare en main, sourire aux lèvres, heureux de nous avoir bouleversés. Magie de la scène.
Damien semble, à chaque nouvel album et chaque nouvelle tournée, aller de plus en plus vers la setlist parfaite : il enfile les perles et imprime durablement dans nos esprits une nouvelle cartographie de l’américana sensible (« Everything Trying », « Sheets », « Abilene », « Ohio »…). Et cela sans même avoir recours à son arme fatale : « And now that I’m in your shadow ».
Doit-on le redire ? Damien Jurado est petit à petit en train de dérober la couronne de Bonnie Billy, voire le sceptre de Bill Callahan. Vu les applaudissements nourris de la salle conquise, ça commence à se savoir.