Belle affiche éclectique que celle proposée dans le cadre de la première édition du festival Ondes Magnétiques ; cette soirée, intitulée Nuit des Arts, à la Condition Publique à Roubaix, était placée sous le signe, assez convenu, des rapports entre musique electro et vidéo. A une exception près, on aura simplement vu des musiciens se servant des toiles tendues en fond de scène pour agrémenter leur prestation d’une touche d’onirisme ou de psychédélisme – souvent sans rapport évident avec la musique elle-même ; globalement, on trouve dans ces visuels de la décoration plus que de l’illustration. Mais les lieux, vastes espaces assez modulables (la Condition Publique est une ancienne usine de contrôle des textiles), sont propices aux installations diverses et variées de vidéastes et musiciens, et la soirée est au moins une belle occasion de découvertes pour les yeux comme pour les oreilles.
Mais là n’était pas l’essentiel, j’étais venu pour Fennesz, qui jouait dès huit heures (juste après Pan Aurora, que je n’ai pas vu) et n’a pas déçu, offrant une prestation époustouflante, pendant une heure de set – et ce devant un public franchement restreint, peut-être à cause du concert de Shannon Wright à 3 km (au Grand Mix à Tourcoing) ou plus sûrement à cause de la finale de la Coupe de France (au Stade de France, mais retransmis partout à Lille). Stratocaster en bandoulière, très concentré, l’Autrichien a servi une longue dérive ininterrompue, à la fois très maîtrisée et laissant libre cours à quelque improvisation, parfois même quelque expérimentation hasardeuse – on reconnaît de-ci de-là quelques accords de « Venice », « Endless Summer », ou « Black Sea ». Mais les textures sonores semblent étoffées, les raz-de-marée engouffrent tout, et on se noie dans ce magma en en goûtant les tourbillons sans fin, que Fennesz alimente d’une manipulation sur son MacBook ou d’un arpège de guitare tellurique. L’effet est presque psychotrope, en tout cas hyper euphorisant.
Du coup, emballé, tel un berger allemand dans une pub Frolick on batifole de suite vers une petite salle à côté, où nous attend Euphorie, duo de metteurs en lumière connus pour avoir bossé avec Etienne de Crécy. L’installation se découvre progressivement : quatre toiles presque translucides parallèles servent d’écran sur lequel est projeté un rayon lumineux synchronisé avec la musique. Très cheap au début, sous influence eighties genre Tron, le visuel allie géométrie et fantaisie, tout en montant en puissance ; le duo d’électroniciens apparaît entre deux écrans, et finit par se servir de néons comme sabres-lasers ou comme guitares monocordes. On regrettera juste la bande-son franchement anodine voire médiocre, trop estampillée années quatre-vingt, surtout après la claque que l’on a prise avec Fennesz, et le dernier quart d’heure fragmenté, plus dispensable. Mais Euphorie constitue pour moi l’unique expérience visuelle enthousiasmante de la soirée.
On peut se faire une idée de la prestation ici avec cette prestation similaire (fin 2010)
J’enchaîne presque aussitôt avec Barbara Panther, Allemande black au look néo-Joséphine Baker version techno (ou quelque chose comme ça). La féline, vêtue d’une robe en cheveux longs (si si…) fait preuve d’une énergie débordante, hyper enthousiasmante, malgré la sobriété apparente du dispositif – un seul musicien sur scène, pilotant un Mac (encore…) mais qui crée un univers instrumental très complet et étoffé. La voix, hyper délayée, puissante et assurée, et la présence scénique de Barbara Panther, à la fois martiale et enjouée, emplissent la salle. On penserait presque à du Björk – avec un chant plus pop mais avec la même posture artistique à la fois intransigeante et généreuse. Une prestation vibrante et touchante, qui emballera de bout en bout. A suivre de près, aussi sur disque sans doute.
On ne comprend pas forcément bien ce que fait Poni Hoax (après Stabil, pas vu) en tête d’affiche d’une soirée marquée sous le sceau de l’électro et de matériaux vidéos, mais peu importe finalement ; eux non plus ne semblent pas considérer le visuel comme prioritaire et offrent un set de pop rock matinée de funk, dans une veine Franz Ferdinand à la française, bien ficelée et efficace. Le public, plus fourni que pour Fennesz, a l’air d’apprécier. Un bémol, les blagues pourries du batteur entre les morceaux ; un dièse : la présence scénique du chanteur, toute en retenue grave, oscillant entre Interpol et the National, et emportant finalement le morceau. Pas mal du tout.
Au final, on se demande quelle direction pourra prendre ce mini-festival lors de futures éditions, dont les enjeux seront peut-être à baliser, ou à banaliser ; pour l’heure on a eu droit à une très belle soirée variée, marquée par une prestation exceptionnelle de Christian Fennesz et par de belles découvertes.