Il aura fallu attendre le concert d’un groupe anglais à la musique des plus brumeuses pour mettre fin à la pluie incessante qui inonda Nantes toute la journée ce mardi. Il y a des moments où chaque détail compte, où tout paraît avoir été parfaitement minuté.
La pluie s’arrête, donc, juste avant notre entrée dans la grande salle de Stereolux. A peine quelques minutes d’attente et les lumières dans le public s’estompent lentement pendant que celles de la scène s’allument, accompagnant le net crescendo de la musique que diffuse la sono. Et pas n’importe quelle musique. L’auditeur aguerri reconnaît « Simple Twist of Fate » de Bob Dylan, issu de « Blood on the Tracks », disque-balise post-rupture inusable, oscillant sans cesse entre résignation apaisée et ressentiment amer. Le concert n’est même pas commencé et déjà, c’est magnifique. C’est sûr, il y a des moments où chaque détail compte. Où tout paraît à sa place.
Les stridulations forcément un peu « out of tune « de l’harmonica de Dylan s’estompent, laissant place à un sifflement mystérieux à la Morricone venu d’on ne sait où. Les cinq Anglais font leur entrée. Le look de Stuart Staples, le chanteur, est raccord. Moustache à la Lee Hazlewood (référence musicale incontournable du monsieur), petit gilet marron sur ample chemise blanche, blue jeans. Western. Mais tous, dans le groupe, ont la classe. De vrais lords anglais.
Le concert commence par « I Was Your Man », qui ne dénote pas à côté du « Simple Twist of Fate » d’introduction. Là encore, chanson magnifique. Issue de la pierre angulaire « Curtains », disque-phare de la discographie de Tindersticks. L’orgue et le xylophone planants, joués conjointement par le classieux David Boulter, servent magnifiquement la voix de crooner désabusée de Staples. S’en suit l’obsédant « If You’re Looking for a Way Out », reprise géniale d’un groupe oublié de R’n’B mainstream des eighties, Odyssey, extrait de l’album « Simple Pleasure ».
Si le concert fait la part belle au dernier album en date du groupe, de loin leur meilleur depuis plusieurs années – impeccable suite « Show me Everything » / « This Fire of Autumn » / « A Night so Still » jouée dans le même ordre que sur le disque -, les retours sur les albums passés sont les bienvenus : « Curtains » encore (sensualité sombre de « Dick’s Slow Song »), « Can Our Love » (mélancolie bucolique de l’entêtant « Dying Slowly ») et « Waiting for the Moon » (impérial « My Oblivion », véritable moment de grâce suspendue du concert, où on devine le public entier aux anges). Pour chipoter, on dirait bien que toutes ces chansons, les anciennes en particulier, auraient été encore plus belles avec la présence de Dickon Hinchliffe qui a quitté le groupe il y a plusieurs années et dont le violon était pour beaucoup dans le son Tindersticks, tout comme sa voix douce et rare apportait un contrepoint idéal au timbre de baryton de Staples.
Ceci dit, malgré plusieurs changements de line-up – seuls trois membres originels restent aujourd’hui -, Tindersticks demeure un groupe très soudé, et cela se ressent sur la scène de Stereolux. Aucun des musiciens n’est particulièrement mis en avant par rapport aux autres. Staples lui-même semble presque en retrait, ne conversant quasiment pas avec le public. Chacun, dans son coin, apporte modestement sa petite touche pour créer la palette sonore hypnotique, sensuelle et cinématographique du groupe fétiche de la réalisatrice Claire Denis : touché jazzy, groovy et métronomique de Earl Harvin, batteur au CV impressionnant (cf. Wikipedia), arpèges délicats et subtils du guitariste Neil Fraser, lignes de basse imperturbables de Dan McKinna et arrangements délicats et amples du claviériste David Boulter.
Sorti du concert, dans les rues nantaises maintenant définitivement sèches, calmes et sereines, comme lavées par la pluviométrie excessive de la journée, on repense au concert, aux morceaux joués, aux albums dont ils sont issus, et nous revient à l’esprit que Tindersticks est un groupe des plus précieux qui soit. Un groupe à chérir.