On attendait Dan Bejar sur scène comme le messie, tant son album « Kaputt » a réussi le tour de force (à notre échelle bien sûr : nous étions restés imperméables à la poésie du Canadien jusqu’ici) de nous envoûter avec ses compositions pop épiques et capiteuses. Sans avoir vraiment réussi à percer le mystère du pourquoi ni du comment, ce « Kaputt », grand écart « lounge-soul-light-jazz-new wave » (relire au besoin l’interview de 2011 accordée à POPnews), nous a accompagnés régulièrement depuis sa sortie malgré des tics, figures de styles et sonorités a priori incompatibles avec nos appétences naturelles. Nous nous devions donc d’entendre et de voir Destroyer sur scène et surtout Dan Bejar, ce Bryan Ferry grunge. C’est bien un hybride entre Faris Nourallah et Sebastien Tellier qui monte sur scène, chemise Ralph Lauren (peu propre) ouverte sur le torse et mocassins (sans glands), jet laggé ou embrumé d’un cocktail local improvisé de dérivés d’opiacés+alcool, accompagné d’un sacré big band : batterie, basse, clavier, deux guitares et deux joueurs de cuivres triturant électroniquement, au besoin, le son sortant de leurs binious.
Ils attaquent sec avec un « Chinatown » de haute volée qui, comme l’album, finirait presque de me réconcilier totalement (c’est en bonne voie) avec les Roxy Music, même (voire surtout) tardifs et… Eric Truffaz. L’atmosphère du disque est globalement bien rendue sur scène et on se régale à voir les cuivres sculpter leurs sons live et plus encore à admirer les jeux de guitares, opposés et en écho. Bien sûr, on se laisse tout autant entraîner dans les lignes de basses onctueuses rondes et dansantes de « Kaputt » et « Downtown » (avec ce riff un peu Twin Peaks) de cette disco pop post moderne autant animale que cérébrale. On regrette un peu les chœurs féminins mais le guitariste de droite s’en sort quand même pas mal dans le rôle de haute-contre.
Dan se la joue vraiment laid back, le plus souvent accroupi devant ses trois bières encerclées par son tambourin. On pourrait le croire peu présent et peu préoccupé par ce qui se passe mais il ondule souvent et sourit à de nombreuses reprises lorsque le groupe transcende les morceaux (boucles de cuivres maltraitées, passages bruitistes, l’intro à la flûte traversière de « Suicide Demo for Kara Walker »…). D’une manière générale, il semble très satisfait (et nous aussi) de la réalisation impeccable sur scène d’un album ambitieux, compliqué, pensé et conçu pour le studio. On notera une baisse de régime tant dans la salle que sur scène lors des anciens titres (50% environ de la set list) et le désespoir nous prend presque lorsqu’ils quittent la scène sans avoir interprété l’épique « Bay Of Pigs » (mais avec ses onze minutes alambiquées, il fallait s’y attendre).
Le groupe remonte sur scène pour un rappel noisy et enlevé (une reprise mais laquelle ?) puis susurrant « Listen, I’ve been drinking, as our house lies in ruin… » on comprend, enfin (les rappels n’étant pas notés sur la set list), qu’on va recevoir dans la face l’un des meilleurs poèmes pop de ces dernières années par ce Bob Dylan d’aujourd’hui : « Bay Of Pigs (Detail) « . On en dégustera les moindres détails avec la chair de poule : basse ronflante, la partie de guitare folk, le break electro et la mélancolie courant tout le long de ce long texte.
Il y a toujours un côté exceptionnel et magique à entendre un artiste sur scène pour la tournée qui suit l’enregistrement de son meilleur album. En un mot comme en sang, Dan Bejar nous a mis « Kaputt » une seconde fois ce soir.
Et pour couronner le tout, les Djs de Popaganda accompagnent le baisser de rideau avec « The Present » de Bedhead. Quel beau cadeau d’adieu…