C’est par le biais de la newsletter hebdomadaire de Philippe Dumez que j’apprends que Calvin Johnson est en tournée européenne. Pour avoir essayé de faire jouer Calvin lors d’une éphémère carrière de promoteur, je sais que les tournées de Calvin sont erratiques et qu’il est difficile d’obtenir des info… Je sais aussi depuis que j’ai vu Calvin Johnson en concert (Mains D’Oeuvres, Mo’fo) que c’est immanquable. Outre la légende (K Records-Kurt Cobain-Beck et pour les initiés Dub Narcotic-Beat Happening et surtout The Halo Benders) qu’il incarne pleinement, voir Calvin sur scène est une expérience incroyable tout comme voir Maher Shalal Hash Baz ou André Herman Düne/Stanley Brinks. Je pourrais les voir et les entendre tous les soirs sans lassitude et pourtant, ou parce que, leurs shows sont composés de peu donc de beaucoup et que c’est toujours un peu la même chose et pourtant toujours très différent.
Un peu malade, je me rends donc à la Loyal Gallery, quartier de Norrmalm, affrontant des armées de clones blonds hyper lookés arpentant les ruelles de showroom en showroom (modaveckan, semaine de la mode).
Calvin Johnson, star, légende, pape du DIY se tient simplement dans l’entrée, épais chandail noir, jean (non-slim, non-extra large) avec de larges ourlets devant un stand improvisé avec quelques disques, trois t-shirts scotchés au mur, quelques foulards rouges K-records. Un peu seul le Calvin et assez déprimé. Ou malade. Ou les deux. Il fait la réclame mollement, se trompe dans ses comptes, dansote et chantonne lorsqu’un morceau des Smiths est diffusé. On est loin du Mo’fo où il haranguait les acheteurs potentiels avec force moulinets de bras et racolages en-chantés.
Après un long moment de solitude, il prend sa guitare et s’accorde dos au public sur une marche recouverte d’un tapis.
Pour signaler la scène, dans un coin, la galerie, un peu cracra, a tendu un drap doré derrière ce qu’il faut bien appeler l’estrade.
Et là, sitôt sur scène, la magie. Il faut entendre au moins une fois la voix de baryton chaude et veloutée de ce Johnny Cash gay pas très gai et le voir jouer ses blues au ralenti. Souvent imité, jamais égalé : dans les 50 personnes du public, je peux compter au moins la moitié d’artistes, promoteurs, éditeurs de fanzines, membres de groupes improvisés, lointains enfants de Calvin, tous buvant du petit lait.
Présence, poésie avec presque… rien ! Pas de micro, pas d’amplification, une vieille guimbarde en guise de guitare (une vieille Martin quand même, je crois…), un jeu de scène hyper réduit mais on est emporté.
Contrairement au précédent concert parisien pendant lequel il avait tenu pratiquement tout son tour de chant sur une longue improvisation parlée ponctuée de quelques accords et, peut-être, une seule vraie chanson (avec une furieuse batteuse), Calvin, ici, ce soir, chante. Certes il raconte beaucoup sa vie, blague à froid (très froid) avec le public mais ça ressemble à un set. On peut penser qu’il va dériver lorsqu’il raconte son concert de la veille à Oslo lorsqu’il avait l’impression psychédélique que ses chansons lui échappaient et intervertissaient leurs paroles tout en, et c’est important, roulant des yeux et des bras pour mimer la scène. A partir de ce moment, Calvin commencera à onduler pendant tout le concert de ce mouvement lascif et nonchalant caractéristique et historique de la pop du King de Memphis à PJ Proby en passant par la Diva Morrissey et le King of Pop. Voir Calvin Johnson c’est un voyage dans la pop musique entre tradition et modernité.
Il faut le voir remuer et déclamer : il y a quelque chose de Shakespearien en lui, quelque chose qui brûle la scène et on rêve de le voir au théâtre ou sur les écrans, une suite de « Mary à Tout prix« où Calvin prendrait la place de Jonathan Richman.
Moment phare, une récitation-danse d’une chanson censée requérir la présence d’un producteur (un truc dans le genre Dub Narcotic donc a priori hyper casse-gueule), Calvin prend sa guitare dans les bras (elle danse d’ailleurs presque autant qu’elle joue) et entonne un récitatif mi amusé mi goguenard sur l’art de rimer entre baladin élisabéthain et rap amerloque !
Calvin interprète des chansons de son dernier album avec son nouveau groupe Hive Dwellers, « Baby Be Mine« et « Streets of Olympia Town« . Il faut avouer qu’on avait un peu lâché Calvin depuis « Calvin Johnson & The Sons of Soil« , et que le premier Hive Dwellers ne nous avait que peu intéressés… C’est dommage : on le voit et on l’entend, les chansons de Calvin restent toujours un peu magiques mais le véhicule est important. Il peut être grandiose comme avec The Halo Benders (avec Doug Martsch de Built To Spill) ou anecdotique et inégal comme avec les Hive Dwellers (on sauvera quand même la première face du récent « Moanin’« ). Mais c’est en solo et sur scène que les chansons de Calvin prennent toute(s) leur(s) dimension(s) : je ne reconnais qu’après un long moment Move Around tant il la transforme et la triture dans son rythme. Parfois Calvin ne joue que sur une corde de basse, finit a cappella, improvise sur des accords dissonants, ou joue avec la réverbération de sa voix en chantant contre le mur.
C’est aussi le quart d’heure copinage : il remercie les amis américains de la galerie exilés à Stockholm et il regrette qu’Ashley Eriksson, compagnonne de label présente ce soir, n’ait pas apporté son cornet pour jouer avec lui…
Au bout d’une heure, le fils caché de Tintin et du Capitaine Haddock range sa guitare dans son étui et s’engouffre dans le recoin qui vend de la bière. Pas de requests, pas de rappel. Basta.
Pas la peine de l’embêter avec ça (je le lui ai demandé en complétant notre collec au merch) : il n’y a pas de reformation des Halo Benders prévue au programme… Calvin trace sa route sans regarder en arrière.
Ne le manquez pas : Mulhouse, Lille, Bordeaux, Toulouse (dates et lieux ici) et bien sûr Paris à l’Espace en Cours (n’est-ce pas une tournée arty spéciale galeries ?) et le même soir, vous pouvez commencer par le vernissage de l’expo « Trombinoscope« du très Calvin Johnsonien, Philippe Dumez, au Monte en l’air.