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Disques

Bonnie Prince Billy & Matt Sweeney – Superwolves

Superduo de choc jouant sur sa désacralisation, Bonnie Prince Billy et Matt Sweeney rempilent dix-sept ans après l’énorme “Superwolf”. Maraudages de loups solitaires et solidaires sur les terres de la country, de la folk, du rock et du métal avec une incursion dans une oasis du Sahel.

Qu’on se le tienne pour dit, “Superwolf” de Bonnie Prince Billy & Matt Sweeney est l’un des grands albums de ce début de siècle et l’un des meilleurs du fellow countryman punk de Louisville. On garde en mémoire, comme l’un des meilleurs concerts de nos vies, un show torride et moite dans un Mains d’œuvres transformé en hammam, un mois de juin pour un Mo’Fo d’anthologie, avec lequel le programmateur Benoît Rousseau a décroché son ticket pour l’escalator vers le paradis (même s’il a d’autres jokers dans sa poche). La chaleur faisait fuir le public d’une scène magnétique avec un Prince pourtant en bermuda. Comme image éternelle, je garde donc le Bonnie Billy non pas dans le duo de soirées en petit comité à la Guinguette Pirate (je n’y étais pas mais on me l’a raconté), ni le show parisien pince-fesses mondain un peu (beaucoup) chiant de Monsieur Oldham avec violoncelle, en deux parties, mais le petit Prince en sueur et en transe avec le Sweeney en grand officiant et son band.
Redira-t-on la grâce absolue qui émane de ce bijou de “Superwolf” ? Une infinie délicatesse, une voix au bord de la rupture, de l’effondrement, tiraillée dans ses extrêmes, totalement sur le même pied qu’une guitare cristalline, rien de trop, bavard juste ce qu’il faut, quelquefois sourde ou glorieusement lyrique, par moments grondante comme le tonnerre, avec un Matt Sweeney vraiment jupitérien pour le coup. “Superwolf”, c’est toute une passion sublimée pour le folk intimiste brisé et les élans métallifères, autrement dit un absolu. Je perds d’ailleurs tout sens critique et sens commun à ce sujet, au point d’avoir cédé à l’édition hyper limitée et méga cher d’un T-shirt mémoriel de ce disque l’été passé, ou, très récemment, à la précommande du “Superwolves” City Beast Bundle, en import amerloque.
Sans compter les échanges numériques avec ma petite belle-sœur, sans doute la princienne la plus absolue de mes connaissances, totalement de mauvaise foi en ce qui concerne le chantre de Louisville, échanges visant à peser le pour et le contre du City Beast Bundle et du Degraded Beast Bundle (en gros : la serviette de plage barbouillée au Paddle d’Harmony Korine OU les boutons de Crocs). Oui, nous en sommes là… Ayez pitié de nous… Notre aveuglement ne nous avait tout de même pas poussé jusqu’à oindre les EPs qui avaient suivi “Superwolf”, ni même les titres numériques à la gloire du burger local. Comme quoi, on garde un semblant de dignité…Donc attente, surprise puis circonspection. “Superwolwes”, en fin de compte, est bien le successeur inespéré de “Superwolf”.

2021 année bénie des dieux ? Oui. Après Arab Strap auto-lazarisé, voici maintenant la réunion du plus fabuleux duo de stars, aussi proche qu’opposé du concept de supergroupe. Car il y a du CSN&Y chez nos Superwolves : jouer collectif ET individuel. BPB écrit, envoie sa copie à Sweeney qui pond une mélodie que l’autre interprète. Rien de plus casse-gueule, et pourtant ça fonctionne à merveille. Qui plus est à distance et finalement rapidement. On apprendra au détour du matériel promo que Sweeney composait certains titres rapidement pour ne pas déranger les ouvriers constructeurs d’une baraque voisine en Jamaïque. On est loin de l’idée de la maturation artistique supposée nécessaire pour accoucher de la digne suite du chef-d’œuvre. 

Dès “Make Worry”, on retrouve notre duo en forme olympique avec un Bonnie sûr de son art, voix de tête soyeuse et profonde sur un lit de guitare savante et populaire, avec une épaisseur metal(lica) sans les lourdeurs des some kind of monsters, et si une dose de thrash rallonge la sauce c’est à l’aide d’un sax crépitant comme la six-cordes de Sweeney. On y entend (vaguement) du Metallica mais Sweeney précise la source : c’est du côté de Danzig, pompe majeure du quartet de San Francisco, qu’il fallait chercher. Évidemment.

Sur “Good to My Girls”, on retrouve cette légèreté qui caractérise le duo. Une berceuse paternelle peut-être un peu cheesy mais on fond comme du camembert dans la cendre de la guitare à Sweeney, devant ces confessions parentales de nos ex-punks des nineties. Là encore le titre est piégeux : Bonnie s’y déguise, en fait, en mère maquerelle. On est loin de la bluette et on vous invite à écouter plus attentivement les indices du texte et les inflexions finement tordues de la guitare à Sweeney.

Ne nous voilons pas la face, malgré la maestria jamais démonstrative, les harmonies des deux voix de ce duo solide comme un roc et pourtant plastique, il manque tout de même les folies, les envolées, les cris (comme sur “Goat and Roam”), les instants suspendus et perdus (“Lift Us Up”, “Blood Embrace”). “Superwolf” ne pouvait qu’être unique. Pour pallier (ou contre-pallier, à la Eno), Superwolves a recours, et, c’est malin, à l’invitation choisie de Mdou Moctar et de Ahmoudou Madassane, guitaristes et producteurs touaregs notamment sur le label Sahel Sounds.

“Hall of Death” joue donc le tricot de guitare avec les griots africains sous la forme d’un boogie afro, avec regards croisés des uns sur les autres. C’est un échange et un retour sur les pratiques des deux côtés de l’Atlantique, et en cela, colle parfaitement avec le projet Superwolf. La batterie de Soulayman Inbrahim est hyper fun et le morceau a un groove imparable. Leurs interventions sont plus diluées sur “Shorty’s Ark”, divagation néo-antédiluvienne psyché à fin brumeuse et “I Am a Youth Inclined to Ramble” (“I Am a Child” ou “Immigrant Song”… punk ?). Les Africains se glissent insidieusement dans le duo et y déroulent leurs guirlandes en feu d’artifice soft. Tout coule évidemment de source.

Pour plus d’exposition, on vous encourage à regarder le film “Zerzura” sur Vimeo avec la bande originale composée par Ahmoudou Madassane, disponible sur Sahel Records et à attendre la sortie à la fin du mois d’“Afrique Victime” de Mdou Moctar sur Matador Records, bombe à l’uranium nigérien.

Partout, Billy et Sweeney sont à la fête sur “My Popsicles” ou “My Blue Suit”, où la grâce de la voix fragile et l’assurance de la guitare rivalisent gentiment. On n’est pas loin de la tradition avec un “Resist the Urge” qui pourrait faire le pont entre Paul Simon et… Neil Young ou avec “There Must Be a Someone”, totalement outlaw country. Les limites du duo, ici presque soul, s’effacent avec Sweeney qui semble prendre aussi la première place à la voix en doublant BPB.

Comme toujours on sera touché par cette magie vraiment tellurique que les Superwolwes déchainent, des énergies contradictoires et un peu effrayantes. “Watch What Happens” est un soir d’orage, chaud et agréable mais lourd en tension possible (de toutes sortes d’ailleurs : Sweeney précise qu’il pensait, pour la mélodie, à … Scorpions !). Il y a plusieurs figures récurrentes, de l’enfance, de l’amour et elle ne sont jamais univoques, loin de là. Les textes de Bonnie sont ambigus, on l’a vu, opérant souvent sur une dichotomie corps/esprit, toujours sur un angle frôlant la folie (“God Is Waiting”), cassant les narrations apparemment trop simplistes : la voix du Prince est caressante mais c’est un félin sauvage tout en tension et détente (“Not Fooling” et ses claviers sur les nerfs). Superwolves est une digne suite et certainement le meilleur Bonnie Prince Billy depuis des années. Sans atteindre les hauteurs de la première édition, il nous fera certainement quelques années. Et on s’allongera sans honte sur la serviette siglée Harmony Korine cet été sur nos plages, à bonne distance et en respectant les gestes barrières.

Avec l’aide de Johanna D., poulette vegan frite du Kentucky.

“Superwolves” est sorti le 30 avril 2021 en digital et paraîtra le 18 juin sous différent formats physiques.

2 comments
  1. bENoix

    Merci pour toutes ces super-chroniques passionantes Gui(Jo)! Je viens de remonter les 3 dernières années avec toi(vous), Phil, Darren, Stanley et Clémence, et d’autres copains communs 🙂

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