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Disques

Henri Salvador – Homme studio

Salvador goes DIY. Concoctée par Guido Cesarsky et publiée par le label Born Bad, une réjouissante compilation de la période home studio – première moitié des 70’s – du chanteur rigolo (mais pas que).

De Henri Salvador (1917-2008), on a généralement une image double. D’un côté, le guitariste virtuose et la voix de velours digne de Nat King Cole, interprète de splendeurs comme “Syracuse”, “Le Lion est mort ce soir”, “Une chanson douce” ou “Dans mon île”, à qui Benjamin Biolay et Keren Ann offrirent une fin de carrière plus que digne dans un “Jardin d’hiver”. De l’autre, le chanteur rigolo et cartoonesque qui voyait Zorro arriver sans se presser, le bouliste amical qui nous avertissait que « les prisonniers du boulot font pas de vieux os », et dont l’ultime blague sera l’erreur sur sa pierre tombale, qui indique 1918 comme année de naissance.

Loin de ses bases garage rock mais en plein dans sa mission d’exploration d’un patrimoine francophone trop méconnu (Francis Bebey, Pierre Vassiliu…), le label Born Bad nous fait redécouvrir ces deux facettes de l’artiste à travers seize chansons d’une période un peu oubliée de sa carrière, grosso modo la première moitié des années 70. A la fin de la précédente décennie, Henri décide de suivre les conseils avisés de sa femme Jacqueline et de prendre son indépendance, comme le raconte Guido Cesarsky – moitié d’Acid Arab, entre autres activités – dans le très instructif livret. Il crée donc son propre label, les disques Rigolo (« parce que c’est rigolo »), installe du matériel dernier cri dans son appartement de la place Vendôme, et devient ainsi un pionnier du home studio.

Salvador est alors libre de faire ce qu’il veut. Enfin, pas tout à fait puisqu’il est sous contrat avec Disney et doit donc écrire avec ses auteurs des chansons sur Mickey, les Aristochats, Pinocchio ou les sept nains de Blanche-Neige. Des commandes qu’il arrive à détourner à son avantage, comme le montrent ici une nouvelle version très alanguie de “Siffler en travaillant” ou l’amusant “J’aime tes g’noux” (1975), adaptation française d’un tube disco-soul de l’époque, le “Shame, Shame, Shame” de Shirley & Company écrit par Sylvia Robinson. Dans ce registre comique ou enfantin s’inscrivent également le scat “On n’est plus chez nous”, le pastiche de Johnny “Rock Star” ou le plus explicite, mais jamais vulgaire, “Sex Man” qui le voit incarner un improbable étalon ayant du mal à satisfaire la demande (« Il en vient de partout, et même de Katmandou »).

Tout cela est délectable, mais reste dans le registre de ce que les Anglo-Saxons appellent des “novelty songs”. Or, comme on le rappelait un peu plus haut, Henri Salvador excellait également dans une veine plus subtile et délicate, illustrée ici par le fabuleusement cool “Et des mandolines” (que Guido Cesarsky compare à juste titre à du Lucio Battisti), “L’amour, va, ça va” ou “Marjorie”. Plus inattendu, il porte aussi – via ses paroliers – un regard acide et désenchanté sur la société dans des morceaux comme “Le Bilan” (tiré de la B.O d’un film obscur, “L’Explosion”), “Le Temps des cons”, “On l’a dans le baba” ou le magnifique “Pauvre Jésus-Christ” qui semble annoncer Katerine avec vingt ans d’avance.

Le plus étonnant reste la production minimaliste, DIY et presque lo-fi, à base de boîtes à rythmes, synthés, Farfisa, petits riffs et arpèges de guitare, et même vocoder. Salvador, qui n’avait pas de prétentions avant-gardistes, savait s’adapter aux tendances musicales de l’époque, et pourtant le résultat apparaît assez éloigné du rock anglo-saxon et de la variété française des seventies. Même si on en est évidemment à mille lieues, ces bricolages inspirés et en avance sur leur temps font davantage penser à la vague bossa-jazz anglaise du début des années 80, à l’électro-funk, voire à Suicide ! Bravo l’Homme studio, on l’a vraiment dans le baba (au rhum).

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