Le duo anglais de post-punk hargneux est (déjà) de retour avec son sixième album, Spare Ribs, moins de deux ans après Eton Alive. En creusant un peu plus leur filon minimaliste, les Sleaford Mods parviennent toujours à nous faire bouger, sourire, enrager et même réfléchir. Sans être un tournant, Spare Ribs marque toutefois une légère évolution avec des sons et des mélodies plus complexes, une certaine poésie et des invitées bien choisies.
« Sans aucun doute, Sleaford Mods est vraiment le meilleur groupe du monde ». Le compliment date de 2017 et vient de monsieur Iggy Pop himself. L’Iguane, séduit par le minimalisme du duo, c’est-à-dire une boîte à rythme(s) et un spoken word débitant des insanités, venait de rejoindre la horde grandissante des fans du duo. Et ce sixième album ne devrait pas stopper la déferlante. Aux claviers (d’ordinateur), Andrew Fearn est au Sleaford Mods ce qu’Harpo est aux Marx Brothers : muet comme une carpe avec, à la place de la harpe, un laptop. Au chant, Jason Williamson, so British mais moins James Bond que frères Gallagher en mode salade-tomate-oignons. Tous les deux sont l’Angleterre anti-Brexit, celle des morveux à l’accent improbable, celle de Ken Loach, de la working class, du Labour Party d’antan, de la pinte au pub et de l’esprit punk. Ou plutôt un savant mélange de punk, de rap et d’électro.
Les peine-à-jouir diront que les Sleaford Mods ne font que du Sleaford Mods. Peut-être, mais ils le font bien. Demande-t-on aux Stones de faire autre chose ? De plus, par petites touches, leur style évolue. Depuis une paire d’albums déjà, Jason Williamson prouve qu’il sait chanter, notamment ici sur “Short Cummings”, portrait au vitriol et dégommage en règle de Dominic Cummings, controversé stratège politique pro-Brexit.
Autre légère évolution : la musique. Ici une ligne de basse, là un riff de guitare, ici quelques notes de piano et un peu partout des sons bizarroïdes. Tout cela donne du relief aux chansons sans que celles-ci perdent de leur puissance évocatrice. Car, brexités comme des puces, Sleaford Mods balance toujours autant sur leur pays, sa situation politique, ses starlettes pop ou sa gestion du coronavirus. Avec une certaine poésie, en mode explicit lyrics toutefois. « Let’s get Brexit fucked by an horse penis until its misery splits » – on vous laisse traduire… Rassurez-vous, Covid ou pas, Jason Williamson postillonne (les fans savent qu’en concert, le premier rang a intérêt à venir en ciré) toujours ces imprécations avec force et rage (“Top Room”, “Spare Ribs” ou encore “I Don’t Rate You”).
Autre bon point : le choix des invitées : Amy Taylor qui en rajoute une couche sur le déjà très chanté “Nudge It”, et surtout Billy Nomates (quelle voix ! quelle gouaille ! quelle gueule ! Une sorte d’Alison Mosshart soul) sur le très réussi “Mork n Mindy” qui évoque une version dégraissée du big beat des années 90.
Avec plusieurs titres de cet acabit, Spare Ribs se situe parmi les albums les plus réussis du duo (avec English Tapas et Key Markets). Plus amples et plus riches, ces « travers de porc » se dégustent sans faim. Jusqu’au touchant “Fish Cakes” final qui prouve que, malgré le succès, les Sleaford Mods n’ont pas oublié d’où ils viennent. S’ils ne veulent pas être vus comme les porte-parole des laissés-pour-compte, leur voix et leur musique sont bien celles d’un peuple qui ne se sent pas écouté mais refuse de se taire.