Tweedy confiné avec ses deux fils dans le Loft Studio de Wilco fait péter la galette annuelle : un album de dad rock moelleux comme un fondant au chocolat maison bourré de pépites acides amères qui crissent gentiment sous les dents.
Et revoilà Jeff Tweedy, avec sa désormais annuelle livraison hors Wilco. Le temps ne semble avoir aucune prise sur notre gros ours mal peigné et il produit d’ailleurs comme un jeune gandin. Il nous gratifie d’un second livre How to Write One Song (relisez et notez la subtilité), remettant le couvert par écrit après son autobiographie Let’s Go (So We Can Go Back) parue l’an passé. Un traité d’écriture comme un traité de vie, un vade-mecum de songwriter, le meilleur car n’ayant jamais voulu monter sur son piédestal ou se planquer dans une salutaire retraite. Tout semble couler de source et quoi de plus naturel que de publier cet acte de foi quasi quotidien, ces onze nouvelles chansons venues cette année donc, plutôt que de les laisser dormir dans un tiroir, en attendant le déconfinement de Wilco.
Jeff Tweedy a donc pris le parti depuis “Sukierae”, “Warm” (et son succédané “Warmer”) de coucher rapidement et spontanément ses compositions vitales hors Wilco. On écartera “Together at Last”, gourmandise-reprises pour les fans.
“Sukierae” était un fourmillement de détails, un Wilco en miniature, la joie d’être seul maître à bord (avec fiston) ; avec “Warm”, la gangue était plus brute, plus intime mais les arrangements subtils. “Love Is the King” est plus rond, plus unitaire, assez classique et à première écoute assez planplan. Mais plus on y revient, plus on le trouve justement solide. Comme pour les grands maîtres de la chanson anglo-saxonne, allez citons Elvis Costello (POPnews parlait déjà de son influence sur Wilco et ses sbires ici-même en 2002) puisqu’il est aussi peu reconnu que Wilco en terres françaises, leurs chansons et albums mythiques sont derrière eux mais leur patte est toujours là, et ils sauront, semble-t-il jusqu’au bout, continuer d’écrire juste des putains de bonnes chansons, comme l’assénerait sans doute mon idole journalistique Etienne G. (que Dieu bénisse son clavier).
La diablerie cachée, disons maligne, de cet album réside dans des sonorités de guitares malades qu’on trouvait dans la sainte enfilade “Summerteeth”/“Yankee Hotel Foxtrot”/“A Ghost Is Born” et qui viennent accrocher l’écoute en nous renvoyant des flashs passés.
“Love Is the King” est de facture toute classique mais les guitares tordues des périodes de dépression de Tweedy, à la Byrds plus camés que jamais, disons en mode copaing Dennis Hopper, surgissent çà et là et viennent érailler l’émail du titre.
“Opaline” est une perle countrysante, quasi resucée de “Stinky Fingers” en mode laid back, avec une voix on ne peut plus dylanienne, mais c’est surtout dans le solo final que la voix singulière de Tweedy, à la guitare, est retrouvée.
“A Robin or A Wren” nous fait le coup de beats à la Cash mais serrent notre petit cœur avec ses entrelacs malins.
Avec “Gwendolyn”, on attaque les choses sérieuses. C’est une discrète mais ténue replongée dans l’artillerie lourde “YHF”/“Ghost Is Born” mais par touches, pour ne pas casser la dentelle. Et, il n’y a pas de hasard, on retrouve le copain Costello ainsi qu’une bonne partie du panthéon tweedyen venant jouer du caméo masqué sur le clip (décidément une constante dans les clips de Tweedy hors Wilco). C’est que “Love Is the King” (l’album) sent son confinement, son recentrage, d’où l’évidence, le calme et l’importance de l’amour (familial), point focal de ce disque enregistré avec ses deux fils.
Sur “Bad Day Lately”, même jeu que dans la chanson précédente. On est dans une opposition d’ambiances : le bois des guitares acoustiques sur des coulées électriques, qui partent comme des fusées.
Sur “Even I Can See”, l’ombre de Dylan (encore) s’est vautrée sur le titre mais ce qu’on retient c’est ce côté prise brute qui laisse entendre le bois, les cordes frisées avec, en final, une brume légère électro-acoustique qui s’élève et donne un relief pastel. Ça n’a l’air de rien mais c’est la classe totale.
Sur “Natural Disaster”, Tweedy montre ses biscotos ramollos de “Schmilco”, assume le côté un peu bancal de la prise, et la référence de Lee Hazlewood en diable, jusque dans la voix ironique. On admire l’écriture :
I’ve never been blown by the winds of a hurricane
Never been in a flood
I’ve never been buried up to my neck in mud
But I have fallen in love
And that’s enough
Of a natural
Disaster for me
“Save It For Me” surprend par son côté anglophile, veine plutôt laissée de côté sur cet album. Lennon et McCartney sifflotent en promenade avec de beaux balais de Spencer Twee. Encore une fois, le titre touche par son relatif inachèvement qui lui garde tout son nerf. C’est la constante des enregistrements de Tweedy hors Wilco.
“Guess Again” et “Troubled” sont du typique Wilco, et sur le dernier titre on trouve même la voix cassée des grands moments tweediens. Aller rechercher cette sève-là, voilà qui n’était pas évident.
Des éclairs zébrants lancent “Half Asleep” et l’éclaireront de mille feux pendant le final, c’est une nuit moirée et brillante qui tombe, avec des illuminations versaillaises comme des rehauts mélancoliques. On ne soulignera jamais assez le caractère nocturne des chansons de Wilco. Chez Tweedy comme chez Proust, on dort beaucoup, on rêve, on flâne, physiquement et mentalement. Comme dans la vie. C’est tout l’art de Tweedy de savoir capturer ces moments-là, de les encapsuler dans cette forme courte qu’est la chanson. En bon héros middle class US, l’écrin familial est le cocon-vase d’épanouissement (cf. la série confinée The Tweedy Show, dans laquelle la famille Tweedy fait la nique, en pyjama, à celle de Richie Cunningham, modèle de coolitude, avec un iPhone en mode portrait). “Even I can See”, “Guess Again”, “Half Asleep” sont des odes maritales, rappelant celles de Johnny Cash à June Carter. Tweedy mute alors en Carter Family, s’associant avec ses deux fils, et cet album familial confiné, dans le Loft Studio de Wilco, quand même, s’avère, on l’a dit plus haut, effectivement plus rond mais aussi, dans ses textes, moins angoissé. Si angoisse il y a, c’est surtout d’être loin de ses proches (“Bad Day Lately”). Elle peut encore être gentiment existentielle comme dans “Troubled”,
I’m troubled
Some days I don’t know
By the time I let go
I’m too slow to see
Oh I’m troubled
But the trouble’s still me
mais dans l’ensemble, les abîmes semblent sinon derrière, du moins acceptés et apprivoisés dans leur récurrence.
Sur “Natural Disaster”, on retrouve la contingence des sentiments et des événements naturels chers à Tweedy, romantique au cœur gros comme ça. C’est ce qui s’imprime partout, cette immense abandon dans l’amour qui inonde les albums de Tweedy post traumae. “Love Is the King” donc, Ode à la joie encore et ce baume est consolateur pour tous les daddy rockeurs.
Avec l’aide de Johanna D., Octoberteeth réparée.
Love Is the King est sorti le 23 octobre en digital et sortira le 15 janvier 2021 en LP et CD. On peut précommander le vinyle ici avant le 14 janvier et sécuriser un 45-tours avec deux titres inédits.
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