Depuis quelques années, il est difficile de passer à côté de Phoebe Bridgers. Cette jeune Américaine, originaire de Pasadena près de Los Angeles, a en effet multiplié les projets et collaborations, au point de devenir une figure incontournable de la scène indé américaine. Son très beau premier album solo, “Stranger in the Alps”, est sorti en 2017. Dès l’année suivante, elle a formé l’excellent supergroupe boygenius avec les non moins excellentes Julien Baker et Lucy Dacus, ce qui a donné lieu à un EP. Enfin, en 2019, c’est avec Conor Oberst (Bright Eyes) qu’elle a publié un album en duo sous le nom de Better Oblivion Community Center. Ces dernières années, elle a eu également l’occasion de collaborer avec Mercury Rev ou, plus récemment, Matt Berninger de The National. Avec tout ça, elle a quand même trouvé le temps d’enregistrer “Punisher”, son nouvel album qui sort ces jours-ci.
Comme pour le précédent, elle a coproduit le disque avec Tony Berg et Ethan Gruska. Mais, à l’évidence et à la simplicité indie folk de “Stranger in the Alps”, succède ici un son plus produit, plus travaillé. Un véritable travail de design sonore a été réalisé pour agencer les différents instruments et élaborer une musique à l’apparence minimaliste, mais qui s’avère finement arrangée. Bien souvent, la guitare apparaît étouffée, comme si elle était restée confinée, pendant que la voix fréquemment doublée de Phoebe Bridgers est mise en avant, une voix à la fois pure et un peu voilée, fragile et quand même forte.
L’album alterne des chansons épurées et d’autres plus amples, voire grandiloquentes. “Garden Song” ouvre l’album tout en douceur avec un riff en fingerpicking, comme recouvert, qui nous accompagne tout du long. Plusieurs titres sont interprétés avec une délicatesse à la Elliott Smith, une influence si revendiquée par la chanteuse qu’elle adresse même une véritable lettre ouverte, avec la chanson “Punisher” (« What if I told I feel like I know you ? / But we never met »), à son chanteur favori, disparu alors qu’elle avait seulement neuf ans.
D’autres chansons sont plus rythmées et plus accessibles, mais c’est aussi celles-là où la chanteuse exprime le plus ses doutes voire un certain mal-être, que ce soit son mal du pays sur “Kyoto” (« I wanted to see the world / Then I flew over the ocean / And I changed my mind ») ou la douleur causée par l’absence de l’autre sur “Chinese Satellite” (« You know I hate to be alone »). Elle peut aussi évoquer les difficultés et les incompréhensions dans la relation à l’autre (« I don’t know what I want until I fuck it up » sur “ICU”). Le tout au travers de paroles simples et souvent justes, en particulier pour décrire les relations humaines et, bien sûr, surtout les relations amoureuses. L’album se termine avec le bien nommé “I Know the End”, chanson en deux parties, la première douce et calme, la seconde en crescendo où cordes, cuivres et chœurs montent progressivement avant d’exploser dans un finale grandiose, voire emphatique.
Ce dernier titre a accueilli plusieurs des nombreux invités de l’album, entre autres Jenny Lee Lindberg de Warpaint, Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs, Christian Lee Hutson (dont Phoebe Bridgers a produit le premier album sorti cette année), Conor Oberst (déjà présent aux chœurs sur “Halloween”) ou encore Julien Baker et Lucy Dacus, ses acolytes au sein de boygenius.
Ces deux chanteuses l’accompagnent également sur “Graceland Too”, nouveau classique country et incontestablement la plus belle chanson de l’album, qui démontre que c’est quand elle va au plus simple que Phoebe Bridgers nous touche le plus. A l’écoute de ce nouvel album sans doute trop produit et trop travaillé, on peut en effet regretter la simplicité folk à la beauté désarmante de son premier effort. On en vient également à attendre, avec une grande impatience, le premier véritable album de boygenius, supergroupe porteur de grands espoirs.