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Holden, une passion chilienne

Alors que SuperBravo tente, malgré les restrictions, de défendre sa musique sur scène cette année, retour sur l’ancien groupe d’Armelle Pioline, Holden, qui tissa des liens très forts avec le public chilien dans les années 2000. Un récent documentaire revient sur cette aventure hors-norme, dont se souvient notre collaborateur Felipe Díaz Peña.

L’an dernier, le réalisateur chilien Pablo Solís montrait pour la première fois son documentaire “Bon voyage, mi vida junto a Holden” (“ma vie avec Holden”, à voir ci-dessous) au festival InEdit Chile. Solís avait rencontré les musiciens parisiens en 2005 pour les inclure dans la bande-son de son film “Paréntesis” (“Parenthèse”). En 2007, il décide d’accompagner le groupe dans sa plus grande tournée à travers ce pays tout en longueur égaré entre le Pacifique et la cordillère des Andes, et d’en tirer un documentaire. Outre la capitale Santiago, le groupe français formé par Armelle Pioline et Dominique Dépret (dit Mocke) joue dans des villes où ne se produisaient habituellement que les artistes de la scène locale : Valparaiso, Concepción, Talca, Valdivia, Puerto Montt et Puerto Varas.

Le film était censé s’intituler “Holden : testigo de un viaje” (“Holden : témoin d’un voyage”) et sortir quelque temps après la tournée, mais cela ne s’est pas passé ainsi. Le matériau a reposé pendant plus de dix ans avant d’être monté et de voir enfin le jour. C’est un road movie intime sur une tournée pas comme les autres, pleine de belles rencontres avec un public qui n’est pas habitué à la musique francophone. D’émouvants souvenirs d’Armelle Pioline, dix ans après, se mêlent aux images de cette épopée intense et mythique. Vivante, réfléchie et assagie, la chanteuse aborde ces images sans nostalgie.

J’étais encore adolescent quand j’ai entendu parler de Holden pour la première fois. Les soirs d’été à Concepción (la deuxième ville du pays), mon cousin et moi nous donnions rendez-vous pour écouter ensemble les albums que nous venions de découvrir. Un jour, il m’a parlé de ces “franchutes” (“Français” en argot chilien) et m’a fait découvrir “L’Arrière-monde”, le premier album de Holden : le coup de foudre fut immédiat.

Les années 2000 ont été très prolifiques pour la scène rock et pop chilienne. Et il ne me semble pas excessif de dire que, d’une certaine manière, Holden en faisait partie. Les concerts de Holden sont devenus fréquents dans les bars et les salles de spectacles à travers le pays. La Batuta à Santiago, El Huevo à Valparaiso ou La Sala Dos à Concepción ont accueilli le groupe français plusieurs fois – autant d’endroits cultes pour la scène musicale du pays. De plus, “Chevrotine”, le troisième album de la bande, a été enregistré et produit au Chili, au moment où un nouveau bassiste d’origine chilienne intégrait le groupe : Cristóbal Carvajal.

Au fil du documentaire, Armelle Pioline raconte ses voyages au Chili, pleins de rencontres enrichissantes et inattendues : « Le Chili, ça a toujours été vraiment plein de surprises merveilleuses (…) On a vraiment rencontré des gens géniaux, avec qui je suis toujours en contact dix ans plus tard (…) Ça a été super fort, les tournées chiliennes, et notamment celle de 2007. C’était toujours plus que ce que je pouvais en attendre. »

Il reste difficile d’expliquer pourquoi Holden a atteint une telle popularité dans ce pays si éloigné de la France… Qu’un groupe parisien joue à Puerto Montt ou à Puerto Varas (dans le sud du pays), voilà qui était absolument impensable jusque-là ! Le public chilien a toujours été plus réceptif à la musique anglo-saxonne, surtout à partir de la fin des années 90. Les étudiants chiliens qui appréciaient la pop écoutaient Blur, les Pixies, les Cranberries, Morrissey et les Smiths, ou Joy Division. Voire Iron Maiden qui, pendant les années 2000, est venu jouer plusieurs fois dans le pays.

Mais les compositions de ce groupe qui n’a jamais eu le succès qu’il méritait chez lui ont pourtant su franchir la barrière de la langue, dans un pays où le français demeure plutôt exotique et très peu parlé. A l’époque, les journaux de là-bas parlaient de Holden comme du groupe qui amenait « la French touch » au Chili. Si le terme, qui désigne l’électro française de la deuxième moitié des années 90, paraît impropre pour décrire leur musique, il porte néanmoins en lui cette part d’exotisme qui a pu, dans un premier temps, séduire le public local. Mais cet aspect s’est estompé à mesure que la popularité de Holden grandissait au Chili, et les fans ont même cessé de le considérer comme un groupe français. Plutôt comme une formation hybride, rare et singulière, entre deux pays et deux cultures. D’ailleurs, le deuxième album du groupe, produit chez le musicien chilien Uwe Schmidt (alias Atom Heart), porte le nom d’un peintre chilien : Pedro Lira. La maison d’Uwe se trouvait dans la rue Pedro Lira dans le quartier de Providencia à Santiago. Un nom qui boucle la boucle !

Les années où Holden vit son climax musical, ce sont aussi celles où la jeunesse chilienne se débarrasse de la peur et proteste contre l’héritage politique de Pinochet. L’année 2006, Holden enregistrait “Chevrotine” tandis que les collégiens et les lycéens du pays animaient « la revolución de los pingüinos » (1) et revendiquaient le renversement du système éducatif imposé par la dictature. L’ambiance politique et sociale s’avérait peut-être propice à l’inattendu.

Il y a deux ans que j’habite à Paris, et Holden n’existe plus. « C’est dommage ! », me disais-je, car cela aurait été fascinant de les voir en France… Un jour, j’apprends toutefois que la chanteuse de Holden a un nouveau projet, SuperBravo, et qu’elle doit jouer bientôt. En décembre dernier, je me rends à La Manufacture Chanson (Paris XIe) pour découvrir cette nouvelle proposition. C’est une petite salle, rappelant celles du Chili. Pas plus de 70 personnes. J’apprécie ces nouvelles chansons fraîches, vivantes et authentiques. Toujours mélodieuse, la musique de SuperBravo ne manque ni de puissance ni de surprises. Au gré des chansons, Armelle et ses deux acolytes s’échangent les instruments et les rôles de façon très naturelle.

C’était l’occasion de poser quelques questions à Armelle, que POPnews avait déjà interviewée en compagnie de Mocke (toujours très actif aujourd’hui, entre Midget!, Chevalrex, Arlt ou ses disques en solo) du temps de Holden.

Felipe : À ton avis, qu’est-ce qui explique cette relation si particulière entre Holden et le Chili ?
Armelle Pioline : Au départ, Holden a été édité, puis invité au Chili par un génial couple de musiciens (ex-Panico, aujourd’hui Nova Materia), ultra-doué en promo et fan de notre musique. Le groupe était au mieux de sa forme, heureux d’être là… La jeunesse chilienne avait faim de tout, de culture alternative, de cinéma d’auteur, de musique non formatée, de langues étrangères… Holden, à l’époque, semblait cristalliser un peu tout ça.

F. : Pourquoi le Chili a si bien accueilli Holden malgré la barrière de la langue ?
A. P. : Parce que ce premier album était vraiment cool, et que les jeunes Chiliens, qui n’avaient pas, à l’époque (1998), accès à tous les disques de rock indé de la Terre, ont pris le temps de l’écouter et de l’aimer… Et puis, il y a ce tout premier concert, dans l’amphithéâtre des Beaux-Arts, à Santiago, blindé de monde, des gars perchés dans les arbres alentour pour tenter de voir un bout du concert en pirate, c’était fou ! Je pense que ça a laissé quelques marques dans l’imaginaire collectif de la jeunesse de Santiago. Beaucoup de Chiliens m’en ont reparlé bien après.

F. : Tes rencontres au Chili ont-elles influencé ton rapport à la musique et à la création ? De quelle manière ?
A. P. : Bien sûr, puisque c’est au Chili qu’Holden a enregistré trois albums, avec Señor Coconut aux manettes ! Ma rencontre avec Uwe Schmidt a fortement influencé mon rapport à la musique. J’ai aimé la distance et l’humour qu’il gardait toujours, tout en étant ultra-rigoureux et en prenant la chose musicale très au sérieux. “It’s only music” est sa devise, que j’ai faite mienne.

F. : As-tu une anecdote ou un souvenir de tes voyages au Chili qui soit particulièrement marquant pour toi ?
A. P. : J’y suis allée 13 ou 14 fois, j’en ai une montagne ! J’adore ce tout premier souvenir : on sort de l’aéroport de Santiago, on pose le pied pour la première fois au Chili, on monte dans un taxi, et à peine calés dans les sièges, surgit à la radio (à fond) “Sweet Orgies”, un titre de notre premier album. Le chauffeur a monté le volume en hurlant “muy rico ! muy muy rico !” Un moment de joie collective, avec l’impressionnante cordillère des Andes en fond de scène …

F. : Penses-tu qu’il y ait une continuité entre ton projet actuel, SuperBravo, et Holden ?
A. P. : J’espère, car je n’ai jamais essayé d’être “en réaction” à Holden. Je chante toujours des chansons pop, pour la plupart en français, et ça c’est de l’ordre de la continuité. Ce qui change c’est, de chanter avec une autre voix féminine (Julie Gasnier), qui par ailleurs écrit une partie de notre répertoire, ce qui teinte SuperBravo d’une patte très différente de celle qu’avait Mocke dans Holden. Et puis Michel Peteau, le guitariste, a une puissance et un jeu qui font la couleur de notre trio.

F. : Superbravo vient de sortir un album il y a quelques mois, quels projets avez-vous dans un futur proche ?
A. P. : Remonter sur scène ! Notre dernier concert a eu lieu au Café de la danse à Paris, le 11 mars … Deux jours plus tard, on n’avait plus le droit de sortir de chez nous ! Ça nous a bien secoués, évidemment, et ça a stoppé notre tournée en plein vol. Mais les concerts vont reprendre doucement à partir de fin juillet, notamment le 25 au festival Vic mon Amour, près de Sète. On vient aussi de sortir un nouveau single, et un clip joyeux, produit pendant le confinement :

(1) En français, “la Révolution des pingouins”. Au Chili, on appelle les élèves des établissements publics “les pingouins” à cause de leur uniforme : une veste bleu marine et une chemise blanche.

Avec la collaboration de Thomas Séron et Vincent Arquillière.

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