Solitude du prolo éduqué et déprime estivale : Taulard, punks à terroir, enfantent un très beau disque aux pieds des montagnes de Grenoble.
Si j’aimais Annie Ernaux, je dirais que Taulard est l’équivalent punk de la championne du 250 pages Folio. On devrait s’interroger sur le blues des classes moyennes et populaires éduquées à grand coups de baccalauréat et pris entre conscience de classe, Rastignacquerie et, surtout, dépressions aiguës. Certain(e)s en font œuvre littéraire et fond de commerce, certains dépriment gentiment devant leur écran en province (Franck Beauvais, Ne croyez surtout pas que je hurle), d’autres prennent le maquis sur leurs terres grenobloises et, à défaut de prendre les armes, créent un sacré réseau de liens et solidarités.
Pris entre deux feux donc, Taulard ne choisit pas et balance du gros son en reprenant, parfois, Clément Janequin et Josquin Desprez sur ses premiers enregistrements. Cela fait longtemps que j’écoute Taulard, régulièrement conseillé par des amis, mais il m’aura fallu la chanson titre pour adhérer enfin totalement.
“Dans la plaine” est un chant pasolinien, une évocation de prise de conscience qui nous rappelle tout un ensemble de merveilles comme Mes Petites Amoureuses de Jean Eustache, cette rupture ensoleillée et si triste, ce dépucelage social, cette brisure qui permet d’entrer, malheureusement, dans l’âge d’homme. On pense aussi sinon à Diabologum, du moins au Peter Parker Experience de Michel Cloup (le romantisme adolescent dilettante) et aux œuvres coups de poings d’Arnaud Michniak (l’accent sudiste n’y est pas pour rien).
“Dans la plaine” vole tellement haut qu’on a du mal à redescendre dans ces chansons-confessions de punk intelligent (quoique : “Fomo”) à claviers et tablettes numériques. On pense à toute une filiation du rock alternatif français suivant un axe disons… La Mano Verda-Negra Bouch’ Beat.
Reste que ces tranches de vie en direct du squat et du concert de soutien à prix libre sont confondantes de sincérité et d’efficacité. Impossible de ne pas penser, personnellement, à Elvis Costello and The Attractions (période This Year’s Model, le meilleur donc) en gros manque de groove mais gavé d’énergie brute.
Taulard s’ausculte, fait son autocritique et joue aussi des effets d’écho : “Privilégié” est une variation-réflexion féministe sur “Les Dangers du stop”, “Fixation” évoque peut-être les conséquences des relations partiellement consenties de “Dans la roche”.
Parfois la musique dérape comme sur « Mon embarras », le dub s’installe, glace les sangs et dépl(o)ie l’espace. Idem sur “Les Hauts Plateaux”, autre sommet et contrepoint à “Dans la plaine” et qui rappelle les autres possibilités, new wave/cold wave/ psyché, du clavier acheté 15 euros sur un vide-grenier et qui est à l’origine du groupe. C’est une véritable ascension dont les derniers mots rappellent un projet parallèle du chanteur Josselin, Grand Veymont (dont on aime beaucoup Persistance et Changement).
Autre décollage impressionnant qui atteste de la superbe évolution de Taulard : le rock choucroute permanenté d’“Apparences”, à la basse si New Order et à la voix vocodée pleine d’échos bien choisis, tout à fait adaptées au thème. Taulard est libre, dangereux et en cavale : faisez gaffe.
Avec l’aide de Johanna D., Fomo à mort.
Dans la plaine
Disquette
Fixation
Baragouiner
Fomo
Les hauts plateaux
Pas ma soirée
Jtrouve pas mes mots
Privilégié
Apparences
Dans la plaine est sorti le 23 avril et est disponible, aussi chez Broderie Records en vinyle à l’élégante pochette signée jaigrandidansuncercueil (comme sur le split avec Ultradémon). Pour vous le procurer, écrire au groupe à l’adresse villeportuaire@gmail.com